Afrique du Sud : LCBFT et crime organisé »

Christophe BARDY - GRACES community
30/1/2024
Propulsé par Virginie
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Comment des organisations terroristes peuvent-elles financer leurs activités à partir de l’Afrique du Sud sans être inquiétées ? Pourquoi le pays semble-t-il lui même épargné par les attaques jihadistes ? Éléments de réponse avec Ryan Cummings, consultant en sécurité, basé au Cap.


En février dernier, l’Afrique du Sud était placée sur liste grise et sous surveillance par le Groupe d’action financière (Gafi), en raison de son manque d’efficacité dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Des frontières poreuses, une forte corruption, des flux d’argent entre diasporas parfois difficiles à retracer et la prospérité du grand banditisme favorisent le financement de groupes liés à l’État islamique, explique Ryan Cummings, analyste pour la société de conseil Signal Risk et co-auteur de l’ouvrage The Islamic State in Africa, paru en 2021 aux éditions Hurst. Il répond aux questions de JA.


Ryan Cummings : Il existe suffisamment de preuves pour le suggérer, en particulier dans le contexte de l’État islamique en Afrique centrale. [En mars et novembre 2022], le Trésor américain a d’ailleurs imposé des sanctions à certains individus qui opèrent sur le territoire sud-africain. On parle ici de grandes quantités d’argent qui ont été transférées vers ou depuis l’Afrique du Sud, à destination d’organisations terroristes bien identifiées, qui utilisent ces fonds pour financer leurs activités. Donc, oui, je pense qu’on peut affirmer avec certitude que l’Afrique du Sud est une plaque tournante sur le continent africain pour le financement de l’extrémisme.


Nous avons un niveau de criminalité très élevé dans le pays : des vols en bande organisée, de l’extorsion, du racket et même des enlèvements contre rançon. Et puis il y a les crimes financiers – les détournement de fonds et tout le reste. Il arrive aussi que l’argent provienne des transferts de la diaspora. Dans d’autres cas, les fonds transitent sous couverture de revenus commerciaux légaux, alors qu’ils servent à financer des activités terroristes à l’étranger… Toutes les voies possibles et imaginables ont été exploitées en Afrique du Sud, et il ne fait aucun doute qu’il existe un lien très fort entre le financement du terrorisme et le crime organisé en Afrique du Sud. Ces groupes profitent du faible niveau de poursuites judiciaires et d’arrestations dans le pays.


Quels sont les groupes terroristes qui se financent via l’Afrique du Sud ?

C’est surtout l’État islamique en Afrique centrale [Iscap], ce qui comprend le mouvement Ansar Al-Sunna, actif dans le nord du Mozambique – dans la province du Cabo Delgado –, et les Forces démocratiques alliées (ADF), qui opèrent en RDC.

On sait que des gens servent ici de financiers pour l’État islamique en Somalie, qu’ils jouent le rôle de facilitateurs pour l’Iscap en recevant et en envoyant de l’argent, qu’ils utilisent parfois le système de la « hawala » [une méthode de transferts de fonds informels] pour déplacer des sommes substantielles et les faire passer clandestinement dans des pays comme l’Ouganda, la Tanzanie, le Kenya ou la RDC.


A-t-on une idée des montants transférés ?

Pas de façon précise, mais on peut dire que sur les douze derniers mois, par exemple, ces mouvements ont sans doute dépassé les 500 000 dollars.


Le système bancaire sud-africain manque-t-il de garde-fous ?

Non, l’Afrique du Sud possède la législation nécessaire pour s’attaquer au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Le problème réside dans sa mise en œuvre. C’est d’ailleurs pour cela que le pays a été placé sur liste grise du Gafi : les mécanismes sont en place, mais ils ne sont pas exécutés correctement, et c’est cela qui nous rend vulnérable.


Comment expliquer qu’il y ait si peu de poursuites judiciaires ?

Plus le crime est organisé, plus les niveaux de poursuites et de condamnations sont faibles. Sans compter le niveau élevé de la corruption au sein même de nos forces de police, avec des preuves qui disparaissent, des policiers liés au grand banditisme. Tous ces facteurs affaiblissent nos capacités à enquêter correctement et permettent à ces groupes criminels de faire circuler l’argent sans prendre trop de risques.


La vulnérabilité des frontières sud-africaines favorise-t-elle, elle aussi, le financement du terrorisme ?

Oui, c’est un facteur très important. Si on prend l’exemple des Shebab [le groupe somalien], on a eu la preuve que ces gens achetaient des pièces d’identité à des personnels du ministère sud-africain de l’Intérieur pour pouvoir rentrer dans le pays. Après l’attaque du Westgate au Kenya en 2013, un rapport déclassifié a d’ailleurs montré qu’un certain nombre [de terroristes] avaient été formés ici.

Des mesures ont bien été prises pour améliorer la sécurité aux frontières avec la participation d’agences spécialisées, mais nous savons que l’Afrique du Sud souffre d’un niveau élevé de corruption dans le secteur public, et qu’il est encore plus fort encore chez les gardes-frontières et les employés du ministère de l’Intérieur. Tant que cela ne changera pas, nous ne pourrons pas inverser la tendance.


Comment expliquer que le pays n’ait pas été la cible d’attentats ?

C’est justement parce qu’il est une place financière et logistique pour les organisations extrémistes. On ne mord pas la main qui vous nourrit ! Ces groupes ne vont pas attaquer l’Afrique du Sud et risquer de compromettre ce qui est un carrefour très lucratif, ce serait encourager les autorités à se pencher sur les activités de ces individus et organisations.

Oui, nous sommes engagés militairement au Mozambique et l’on a craint que notre présence au sein de la  mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe au Mozambique (Samim) nous expose – l’État islamique nous a d’ailleurs menacés. Mais, d’une certaine manière, les sommes d’argent qui sont déplacées en Afrique du Sud pour soutenir l’extrémisme nous protègent. Les groupes terroristes ne prennent pas le risque d’hypothéquer leur système.


L’islam radical semble très présent en Afrique du Sud. Comment a-t-il évolué ?

Nous sommes très tolérants en Afrique du Sud et la communauté musulmane est très bien intégrée dans la société. Ceci étant dit, le wahhabisme se répand, venu d’Arabie saoudite, de Somalie ou d’autres pays du Golfe. Il progresse aussi via aussi les diasporas arrivant de la côte swahilie et au sein desquelles certains prônent une lecture plus fondamentaliste de l’islam.


Je pense que ce qui a ouvert les yeux sur la présence de cette idéologie en Afrique du Sud, c’est la présence de Sud-Africains dans les structures de l’État islamique. Des individus qui, à une certaine époque, ont quitté le pays pour aller vivre dans le califat, à Raqqa ou à Mossoul, ou qui sont allés se battre aux côtés des combattants de Daech face aux armées irakienne, syrienne et à leurs alliés. On parle de plusieurs centaines de personnes ayant vraisemblablement adhéré à l’idéologie fondamentaliste. C’est assurément une source de préoccupation pour l’avenir.


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