La Poste devient un symbole. Le groupe vient d'être condamné par le tribunal de Paris à améliorer son devoir de vigilance dans un dossier concernant des travailleurs sans-papiers chez ses filiales Chronopost et DPD. Une première judiciaire qui pourrait faire jurisprudence alors que de nombreuses entreprises, censées identifier et prévenir les risques humains et environnementaux sur l'ensemble de leur chaîne de valeur, sont aujourd'hui en non-conformité.
C’est 'un peu le début d’une nouvelle ère', selon les mots de l’avocate Ophélia Claude, interrogée par Novethic. Le tribunal judiciaire de Paris a enjoint, mardi 5 décembre, La Poste à compléter son devoir de vigilance après avoir été assigné par le syndicat Sud PTT. L’affaire concerne l’emploi de travailleurs sans papiers dans les filiales françaises du groupe, à savoir Chronopost et DPD. Sud PTT affirme que des 'centaines de travailleurs' ont été 'victimes d’un système d’exploitation leur réservant sciemment les tâches les plus difficiles des centres de traitement des colis, souvent de nuit pendant 3 ou 4 heures'. Il accuse La Poste d’avoir 'fermé les yeux sur ce qui se passe dans ces entrepôts', manquant ainsi à son devoir de vigilance.
C’est la première fois, depuis le lancement de la loi en 2017, qu’une juridiction rend une décision sur le fond en application de la loi sur le devoir de vigilance. Cette dernière vise à prévenir et à réparer les violations liées aux droits humains et à l’environnement tout au long de la chaîne de valeur. Chaque entreprise de plus de 5 000 salariés se doit d’élaborer avec ses parties prenantes des 'mesures de vigilance raisonnable'. Or dans le contentieux lié à La Poste, le tribunal de Paris a estimé que 'l'étape initiale de la cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation (...) n'est pas conforme aux exigences légales en raison de son imprécision'.
Le tribunal demande ainsi au groupe La Poste d’identifier plus précisément les risques qui sont aujourd’hui 'à un très haut niveau de généralité' ne permettant pas de 'faire suffisamment émerger des domaines de vigilances prioritaires'. 'En conséquence, le tribunal enjoint à la société La Poste d’établir des procédures d’évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par la cartographie des risques', écrit-il.
'C’est vraiment une décision très positive qui redonne espoir. Enfin, des juges tranchent sur le fond d’un litige fondé sur la loi sur le devoir de vigilance, après une série de décisions de procédure décevantes', indique à Novethic Juliette Renaud, responsable de campagne aux Amis de la Terre. Téléperformance, Suez, Casino, McDonald’s, BNP Paribas, TotalEnergies… plusieurs entreprises ont été visées par les ONG sur leur manquement à leur devoir de vigilance depuis quatre ans.
Mais pour l’instant, les seuls jugements rendus l’ont été sur la forme et les juges ont débouté les ONG. 'La décision du tribunal judiciaire de Paris sur La Poste fait écho aux autres contentieux en cours. Pour Total ou BNP, nous reprochons aussi le fait que leur plan soit lacunaire et la cartographie pas assez précise. La décision concernant La Poste pourrait donc faire jurisprudence', veut croire Juliette Renaud.
Reste que la décision du tribunal ne répond pas exactement à la demande des ONG. 'Bien que constituant un tournant, on peut noter certains points décevants : par exemple intégrer la liste des sous-traitants et des fournisseurs dans le plan de vigilance ne constituerait pas une mesure nécessaire pour la mise en œuvre ou l'évaluation de ce dernier, alors qu'il s'agissait d'une demande forte de plusieurs ONG'', remarque Hugo Mickeler, juriste-chercheur chez Novethic.
De même, le juge n’a pas prononcé d’astreinte, considérant que La Poste fait preuve 'd’une démarche dynamique d’amélioration de son plan de vigilance'. Et de fait, comme le rappelle La Poste à Novethic, 'cette loi n’a fait l’objet d’aucun décret d’application ou de lignes directrices, laissant les entreprises qui y sont soumises dans une grande incertitude juridique'.
L’adoption de la Directive européenne sur le devoir de vigilance, aujourd’hui négociée en trilogue, pourrait changer la donne et aider les entreprises à se mettre en conformité. Car aujourd’hui, 'la majorité des plans de vigilance des entreprises n’ont pas un niveau de détail nécessaire, les risques saillants ne sont pas identifiés et ce premier contrôle de conformité montre les risques auxquels elles pourraient être confrontées', explique à Novethic l’avocate spécialisée en droits humains et devoir de vigilance Charlotte Michon.
D’autant que ce premier jugement de fond montre à quel point les risques sont partout. Si le devoir de vigilance a été initié à la suite du Rana Plaza (en 2013, plus de 1 000 ouvrières du textile sont décédées dans l’effondrement d’une usine de sous-traitance des géants de la mode au Bangladesh) c’est bien sur une 'entreprise française et des filiales françaises que les manquements au devoir de vigilance ont eu lieu', remarque Hugo Mickeler.
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