Cour de Justice de l'Union Européenne : décisions contre l'Irlande et la Roumanie dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux

Christophe BARDY - GRACES community
21/9/2020
Propulsé par Virginie
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La Roumanie et l’Irlande sont condamnées à payer à la Commission, respectivement, une somme forfaitaire d’un montant de 3 000 000 euros et de 2 000 000 euros.

Ces deux États membres n’ont pas transposé, dans le délai prévu, de manière complète la directive relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

La directive 2015/8491️⃣ vise à prévenir l’utilisation du système financier de l’Union européenne aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Les États membres devaient transposer cette directive dans leur droit national au plus tard le 26 juin 2017 et informer la Commission européenne des mesures adoptées à cet égard.

Le 27 août 2018, la Commission a saisi la Cour de deux recours en manquement, considérant que la Roumanie, d’une part, et l’Irlande, d’autre part, n’avaient pas, dans le délai qui leur avait été fixé dans les avis motivés respectifs, transposé de manière complète la directive 2015/849 ni communiqué les mesures nationales de transposition correspondantes. En outre, elle a demandé, sur le fondement de l’article 260, paragraphe 3, TFUE2️⃣ , de condamner la Roumanie et l’Irlande,

d’une part, au paiement d’une astreinte journalière, à compter du prononcé de l’arrêt pour avoir manqué à l’obligation de communiquer les mesures de transposition de cette même directive et, d’autre part, au paiement d’une somme forfaitaire.

Par la suite, la Commission a informé la Cour qu’elle se désistait partiellement de son recours en ce qu’elle ne demandait plus l’imposition d’une astreinte journalière, cette demande étant devenue sans objet après la transposition complète de la directive 2015/849 en droit roumain et en droit irlandais.

Dans ce contexte, la Roumanie et l’Irlande contestaient l’application du régime de sanctions prévu à l’article 260, paragraphe 3, TFUE. Ces deux États membres soutenaient également que la demande de la Commission d’imposer le paiement d’une somme forfaitaire serait non seulement injustifiée, mais également disproportionnée au regard des faits de l’espèce et de l’objectif de ce type de sanction pécuniaire. Ils reprochaient à la Commission de ne pas avoir motivé, de manière circonstanciée, et au cas par cas, sa décision de demander l’imposition d’une telle sanction en l’espèce.

Par deux arrêts prononcés en grande chambre, le 16 juillet 2020, la Cour a accueilli les recours introduits par la Commission. Ainsi, elle a constaté, en premier lieu, que, à l’expiration du délai qui leur avait été fixé dans l’avis motivé, la Roumanie et l’Irlande n’avaient ni adopté les mesures nationales de transposition de la directive 2015/849 ni communiqué à la Commission de telles mesures et qu’elles ont, dès lors, manqué aux obligations qui leur incombent en vertu de cette directive.

En deuxième lieu, la Cour a jugé que l’article 260, paragraphe 3, TFUE a vocation à s’appliquer dans les présentes affaires 3️⃣. En effet, la Cour a rappelé que l’obligation de communiquer des

mesures de transposition, au sens de cette disposition, vise l’obligation des États membres de transmettre des informations suffisamment claires et précises quant aux mesures de transposition d’une directive. La conformité à cette obligation impliquait dans les présentes affaires pour les États membres d’indiquer, pour chaque disposition de ladite directive, la ou les dispositions nationales assurant sa transposition. Relevant que la Commission avait établi le défaut de communication par la Roumanie et l’Irlande des mesures de transposition de la directive 2015/849 dans le délai fixé par l’avis motivé, la Cour a jugé, premièrement, que le manquement ainsi constaté relève du champ d’application de cette disposition.

Deuxièmement, la Cour a rappelé qu’il n’incombe pas à la Commission de motiver au cas par cas sa décision de solliciter une sanction pécuniaire au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE. En effet, elle a estimé que les conditions d’application de cette disposition ne sauraient être plus restrictives que celles prévoyant la mise en œuvre de l’article 258 TFUE, dans la mesure où l’article 260, paragraphe 3, TFUE ne constitue qu’une modalité accessoire de la procédure en manquement, dont la mise en œuvre relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission, sur lequel la Cour ne peut exercer un contrôle juridictionnel. Cette absence de motivation n’affecte pas les garanties procédurales de l’État membre en cause, dans la mesure où la Cour, lorsqu’elle inflige une telle sanction, est soumise à une obligation de motivation.

Néanmoins, la Cour a précisé que la Commission reste tenue de motiver la nature et le montant de la sanction pécuniaire sollicitée, en tenant compte à cet égard des lignes directrices qu’elle a adoptées, puisque, dans le cadre d’une procédure engagée en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, la Cour ne dispose que d’un pouvoir d’appréciation encadré. En effet, en cas de constat d’un manquement par cette dernière, les propositions de la Commission lient la Cour quant à la nature de la sanction pécuniaire qu’elle peut infliger et quant au montant maximal de la sanction qu’elle peut prononcer.

En troisième lieu, en ce qui concerne l’imposition d’une somme forfaitaire dans les présentes affaires, la Cour a rappelé que l’objectif poursuivi par l’introduction du mécanisme figurant à l’article 260, paragraphe 3, TFUE est non seulement d’inciter les États membres à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle mesure, aurait tendance à persister, mais également d’alléger et d’accélérer la procédure pour l’imposition de sanctions pécuniaires concernant les manquements à l’obligation de communication d’une mesure nationale de transposition d’une directive adoptée conformément à la procédure législative. Ainsi, elle a jugé qu’une requête de la Commission, comme en l’espèce, qui demandait l’imposition d’une somme forfaitaire ne saurait être rejetée comme étant disproportionnée au seul motif qu’elle a pour objet un manquement qui, tout en ayant perduré dans le temps, a pris fin au moment de l’examen des faits par la Cour, dans la mesure où la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire repose sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période.

En quatrième lieu, s’agissant du calcul de la somme forfaitaire qu’il est approprié d’imposer dans les présentes affaires, la Cour a rappelé que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière tel qu’encadré par les propositions de la Commission, il lui appartient de fixer le montant de la somme forfaitaire au paiement de laquelle un État membre peut être condamné en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE de telle sorte qu’elle soit, d’une part, adaptée aux circonstances et, d’autre part, proportionnée à l’infraction commise. Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité du manquement constaté, la période durant laquelle celui-ci a persisté ainsi que la capacité de paiement de l’État membre en cause.

1er - En ce qui concerne la gravité de l’infraction, la Cour a estimé que si la Roumanie et l’Irlande ont mis un terme au manquement reproché en cours d’instance, il n’en demeure pas moins que ce manquement existait à l’échéance du délai imparti dans les avis motivés respectifs, de sorte que l’effectivité du droit de l’Union n’a pas été assurée en tout temps.

2ème - Concernant l’évaluation de la durée de l’infraction, la Cour a rappelé que celle-ci doit, en principe, être considérée comme intervenant à la date à laquelle la Cour apprécie les faits, à savoir à la date de la clôture de la procédure. S’agissant du début de la période dont il convient de tenir compte pour fixer le montant de la somme forfaitaire à infliger en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, la date à retenir en vue de l’évaluation de la durée du manquement est non pas celle de l’échéance du délai fixé dans l’avis motivé (utilisée pour la détermination de l’astreinte journalière à infliger), mais la date à laquelle expire le délai de transposition prévu par la directive en question. En effet, cette disposition vise à inciter les États membres à transposer les directives dans les délais fixés par le législateur de l’Union et à assurer la pleine effectivité de la législation de l’Union. Toute autre solution reviendrait, d’ailleurs, à remettre en cause l’effet utile des dispositions des directives fixant la date à laquelle les mesures de transposition de celles-ci doivent entrer en vigueur et à accorder un délai de transposition supplémentaire, dont la durée varierait, de surcroît, en fonction de la célérité avec laquelle la Commission engage la procédure précontentieuse, sans qu’il puisse, pour autant, être tenu compte de la durée de ce délai lors de l’évaluation de la durée du manquement en cause. Partant, la Cour a conclu que le manquement de la Roumanie et de l’Irlande a perduré pendant un peu plus de deux ans.

3ème - Concernant la capacité de paiement de l’État membre en cause, la Cour a rappelé qu’il convient de prendre en compte l’évolution récente du produit intérieur brut (PIB) de cet État membre, telle qu’elle se présente à la date de l’examen des faits par la Cour.

Par conséquent, compte tenu de l’ensemble des circonstances des présentes affaires et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour à l’article 260, paragraphe 3, TFUE, la Cour a condamné la Roumanie et l’Irlande à payer à la Commission respectivement une somme forfaitaire d’un montant de 3 000 000 euros et de 2 000 000 euros.

RAPPEL

Un recours en manquement, dirigé contre un État membre qui a manqué à ses obligations découlant du droit de l’Union, peut être formé par la Commission ou par un autre État membre. Si le manquement est constaté par la Cour de justice, l’État membre concerné doit se conformer à l’arrêt dans les meilleurs délais.

Lorsque la Commission estime que l’État membre ne s’est pas conformé à l’arrêt, elle peut introduire un nouveau recours demandant des sanctions pécuniaires. Toutefois, en cas de non communication des mesures de transposition d’une directive à la Commission, sur sa proposition, des sanctions peuvent être infligées par la Cour de justice, au stade du premier arrêt.

1️⃣ Directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO 2015, L 141, p. 73).

2️⃣ L’article 260, paragraphe 3, TFUE permet à la Cour d’infliger à l’État membre concerné une sanction financière (somme forfaitaire ou astreinte journalière) en cas de non-respect de l’« obligation de communiquer des mesures de transposition d’une directive de l’Union » à la Commission.

3️⃣ La Cour a pour la première fois appliqué cette disposition du traité FUE dans son arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C-543/17 ; voir aussi le CP n° 88/19.

Virginie Gastine Menou

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