Immobilier en France et LCB-FT?

Christophe BARDY - GRACES community
1/2/2024
Propulsé par Virginie
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Me Pauline Le More est avocate au barreau de Paris et spécialiste en droit immobilier.

Le dispositif de sanctions visant la Russie, mis en place par l’Union Européenne en réponse à l’invasion de l’Ukraine, a renouvelé l’attention portée par les autorités françaises à l’égard des professionnels de l’immobilier.

Au titre de ces sanctions sans précédent, un certain nombre de biens immobiliers appartenant à des oligarques russes ont fait l’objet d’une mesure de gel par les autorités françaises, pour une valeur de 570 millions d’euros. Selon la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), 62 biens seraient concernés par ces mesures [1]. Depuis le 1er juillet 2022, une enquête est en cours au sein de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) après le dépôt de plainte de Transparency International France (TIF) pour notamment des faits de « blanchiment » visant de possibles biens mal acquis en France par « des hommes d’affaires et hauts fonctionnaires proches de Vladimir Poutine » [2].


Alors que les autorités publiques mènent une vaste campagne contre le financement illicite, le secteur immobilier figure en effet toujours parmi les principales vulnérabilités du pays.

En mai 2022, le GAFI alertait sur l’insuffisante compréhension par les professionnels français de l’immobilier de leur vulnérabilité unique face aux fonds suspects et illégaux, pointant notamment le nombre insuffisant de contrôles effectués par les autorités publiques en la matière, et le faible nombre de déclarations de soupçons effectuées par le secteur [3].

Ce sont également les conclusions tirées par la DGCCRF, autorité de contrôle des professionnels de l’immobilier, en septembre 2022. La vaste opération d’investigations menées par les services de Bercy dans les Alpes-Maritimes, département ciblé en raison du nombre important de biens immobiliers de prestige qu’il concentre, visait à vérifier le respect de la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs par les professionnels de l’immobilier.


L’opération menée a révélé que 60% des agences immobilières contrôlées méconnaissaient ou n’appliquaient pas leurs obligations en la matière. Parmi les obligations non respectées, figurent, par exemple, la vérification du nom de leurs clients sur le registre national du gel des avoirs, la mise en œuvre sans délai de ce gel ou encore la déclaration à la direction générale du Trésor des actions de gel des avoirs menées.


De manière plus générale, les services de la DGCCRF ont constaté que les agences immobilières contrôlées n’étaient pas familiarisées avec les règles et sanctions en matière de lutte contre le blanchiment, soulevant « des irrégularités importantes au regard de l’exigence de vigilance générale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (système d’évaluation des risques incomplet ou non mis en place, absence de vérification de l’identité des clients et des bénéficiaires effectifs, par exemple) ».


Un secteur particulièrement exposé aux risques de blanchiment

En permettant des investissements élevés avec un fort rendement, ce qui le rend attirant pour le blanchiment de capitaux, le secteur immobilier constitue un secteur particulièrement à risque. En 2021, la valeur cumulée des transactions immobilières s’élèvait en effet à 520 milliards d’euros [4].

L’immobilier de prestige et de luxe, particulièrement dans certaines régions telles que Paris, la Côte d’Azur et l’Outre-Mer, est le plus exposé au financement illicite.

Dans sa dernière analyse nationale des risques de la France, le Conseil d’orientation de la Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) a ainsi identifié l’immobilier comme un domaine présentant un risque élevé [5], particulièrement s’agissant des activités d’acquisitions immobilières. 

En guise d’illustration, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) et Le Monde ont révélé que « plus de 7,33 millions de parcelles – qui peuvent contenir une ou plusieurs propriétés – sont détenues anonymement en France » [6]. De même il ressort qu’en février 2023, « près d’un tiers de toutes les sociétés actives enregistrées en France – soit plus de 1,53 million de sociétés – n’ont toujours pas déclaré de bénéficiaire effectif, bien qu’elles soient tenues de le faire depuis 2017 » [7]. Les professionnels de l’immobilier figurent depuis 1998 sur la liste des professionnels assujettis au dispositif de luttre contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme [8]. Depuis, la législation à laquelle ces derniers sont soumis s’est particulièrement renforcée, sous l’impulsion du droit européen, sans que les professionnels de l’immobilier prennent véritablement conscience de leur rôle dans la lutte.


Vers une auto-régulation du secteur?

Malgré une législation renforcée en la matière, peu de professionnels de l’immobilier sont sensibilisés et formés à ce sujet. La structure du marché, composée d’entités de taille variable, ne facilite pas l’interprétation des procédures de gestion de risques, surtout lorsque l’agence immobilière n’est pas rattachée à un syndicat professionnel.

Depuis 2015, 155 sociétés immobilières ont comparu devant la Commission nationale des sanctions (CNS), l'agence gouvernementale chargée d'évaluer les sanctions à l'encontre des entreprises et des particuliers pris en flagrant délit de violation des règles de lutte contre le blanchiment d'argent.

Or dans son rapport d’évaluation de mai 2022, le GAFI indiquait que ces sanctions 'ne semblent pas toujours dissuasives et proportionnelles » face à l'ampleur des infractions à la législation sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme constatées [9].

Les autorités se sont saisies plus récemment du volet préventif du dispositif, en prévoyant notamment un module de lutte contre le blanchiment dans le cadre de l’obligation de formation continue pour les professionnels de l’immobilier [10].

Si le développement d’une culture en matière de lutte contre le blanchiment d’argent dans l’ensemble du secteur est nécessaire, celle-ci implique également une certaine adaptation aux caractéristiques du secteur immobilier. En effet, si cette réglementation n’est pas suffisamment ancrée dans le secteur, c’est aussi parce qu’elle a été conçue initialement pour le secteur financier et s’applique indifféremment à la TPE et aux sociétés côtées. A cet égard, les organisations professionnelles ont un rôle important à jouer pour sensibiliser les professionnels de l’immobilier et accompagner leur adaptation à ces nouveaux enjeux.

Alors que le contrôle relatif au respect de la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment pour les professionnels de l’immobilier est confié à la DGCCRF depuis 2009, cette mission est confiée aux ordres professionnels pour nombre d’autres professionnels du secteur non-financier, à l’instar des avocats, des notaires ou encore des huissiers. A la lumière des chiffres révélés par le COLB concernant les secteurs non-financiers (341 déclarations de soupçons ont été effectuées par le secteur immobilier, sur 42 000 professionnels du secteur, tandis que 1837 déclarations de soupçons ont été effectuées par le secteur du notariat sur 17 000 notaires en 2021 ; 6000 contrôles effectués concernant des avocats et des notaires, contre 289 pour les professionnels de l’immobilier) [11], l’opportunité d’un contrôle effectué par les pairs pourrait être la clé d’une lutte contre le blanchiment d’argent plus effective par les professionnels de l’immobilier.

Dans ce contexte, la loi ALUR n°2014-366 du 24 mars 2014, a créé le Conseil National de la Transaction et de la Gestion Immobilières (CNTGI), qui est un organe représentatif de la profession immobilière [12]. Afin de renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent par les professionnels de l’immobilier ainsi que l’effectivité des règles déontologiques édictées par ce conseil, la loi ALUR avait mis en place une commission de contrôle au sein de la CNTGI. Mais la loi Elan, adoptée le 16 octobre 2018 [13], est venue supprimer ce rôle disciplinaire du CNTGI faute de consensus quant à son financement [14]. Les dernières actualités sont peut-être susceptibles de relancer la pertinence d’une telle instance dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme.

Pauline Le More


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