Interview Head of Compliance
Je me présente : originaire des Alpes Maritimes, je suis un heureux père de famille diplômé de Sciences Po Paris en Affaires Internationales. J’ai complété ma formation avec une certification en prise de décision et gestion des risques délivrée par l’université de Stanford. J’ai débuté ma carrière dans l’intelligence économique au sein d’un cabinet anglo-saxon. J’ai travaillé pendant 6 ans dans différents bureaux d’Amérique latine, notamment à São Paulo où je me suis spécialisé dans les enquêtes de corruption. J’ai ensuite rejoint le siège à Londres, pour développer l’activité IE & Compliance pendant 4 ans. En 2018, la Fédération Mondiale d’Athlétisme, World Athletics, m’a recruté pour créer son programme de conformité éthique. La Fédération, qui est basée à Monaco, était à l’époque engagée dans une profonde réforme de sa gouvernance, en réponse à un grave scandale de corruption mis à jour en 2015. Je couvre désormais la conformité et la gestion des risques pour l’organisation au niveau mondial.
World Athletics est l’instance internationale compétente pour l’Athlétisme dans le monde. L’Athlétisme, c’est tout d’abord un fait anthropologique, une activité humaine universelle regroupée au sein de trois actes, « courir, sauter, lancer ». La course à pied, le saut en hauteur ou le lancer de poids sont certaines des nombreuses disciplines de l’athlétisme. Nos missions sont très variées. Elles touchent des millions de personnes dans le monde entier. Comme dit l’adage, le sport, c’est la santé. L’objectif est de mettre notre sport au service d’un monde en meilleure santé. Dans ce but, nous intervenons dans trois domaines :
Au sens strict, la compliance, c’est le corpus de règles et de normes auquel les personnes assujetties doivent se conformer au quotidien. Mon rôle est de m’assurer que c’est bien le cas. A ce titre, nous mettons en œuvre les outils pour que cette exigence de conformité soit respectée, et aussi qu’elle soit, dans la mesure du possible, appréciée. Le but est d’apporter de la valeur à nos collaborateurs : en leur fournissant de l’information fiable et utile pour mener à bien leurs missions, ou dans le confort qu’ils trouvent à exercer leur activité dans un cadre éthique évident.
Même si notre programme a été lancé en 2018, il faut se rappeler que le sport traite des questions d’éthique depuis très longtemps ! On a trouvé un exemple d’une « politique cadeau et hospitalité » datant de 2 400 ans dans le serment prêté par les arbitres des Jeux Olympiques de la Grèce Antique. Pour la petite histoire, ce serment s’était imposé suite à un scandale de corruption impliquant des juges et des athlètes. 24 siècles après, ces défis sont toujours d’actualité…
Chez World Athletics, la fonction Compliance intervient en filigrane du processus de prise de décision. Son rôle est d’améliorer la qualité et la fiabilité des décisions que nous prenons au quotidien. Je cherche à me positionner en facilitateur prudent de la bonne conduite de nos affaires. La compliance, pour moi, c’est de ne dire ni « oui », ni « non », mais « si ». « Si on fait ci et ça, alors on aura X-Y% de chance en plus que ça marche. » Il y a donc une forte dimension d’anticipation et de conseil. Nous devons évaluer les tenants et les aboutissants éthiques, réglementaires, réputationels, géopolitiques, financiers, sécuritaires de nos différentes options. Ceci afin d’identifier celles qui sont en adéquation avec nos valeurs et répondent à nos objectifs de façon simple et pratique. J’insiste sur l’aspect pragmatique. Personnellement, n’étant pas juriste, je me concentre sur le pratico-pratique. Il faut que nos solutions marchent dans le monde entier et soient compréhensibles dans des contextes culturels et règlementaires extrêmement variés.
Nous sommes dans une posture d’ouverture et de dialogue. A Monaco, nous sommes soumis à la loi régissant les associations. Notre politique de gestion des données personnelles est revue et enregistrée auprès de l’organe de contrôle du Gouvernement Princier. J’ai l’honneur de participer au travail d’explication mené par l’agence de renseignement financier sur l’application du dispositif LBC/FT aux agents sportifs. En France, nous avons engagé en 2018 un dialogue avec le pôle Conseil de l’AFA. L’agence nous a accompagné pour mieux comprendre les exigences de la loi Sapin 2. Je leur en suis très reconnaissant. Un des sujets était notamment celui de la cartographie des risques. Vous imaginez bien que pour couvrir 214 pays et nations, cet exercice demandait une approche méthodologique très rationnelle. Dans le secteur sportif, nous dialoguons avec le Comité International Olympique, qui est en quelque sorte une source de « soft law » par délégation, pour notre milieu. Avec d’autres fédérations internationales, nous participons à la mise en œuvre de bonnes pratiques dans le sport, au sein notamment du International Partnership Against Corruption in Sport. J’ai également concouru à la rédaction du rapport de l’Agence des Nations Unies contre le Crime et la Drogue sur la corruption dans le sport, afin de définir des bonnes pratiques à même d’être reprises dans une future réglementation du secteur.
Je travaille au sein de la Direction juridique – nous sommes une petite équipe qui se veut percutante et enthousiaste. Je m’appuie sur un réseau de prestataires répartis dans le monde entier - avocats, analystes, enquêteurs privés et contacts institutionnels - pour démultiplier nos moyens et trouver des solutions adaptées au contexte local.
Le travail de sensibilisation est en effet essentiel. Avec la compliance, on est dans l’humain. On fait du comportemental, on touche aux valeurs et à l’éducation de chacun. Il est nécessaire de se concentrer sur les efforts pédagogiques. Après avoir organisé des formations en présentiel, nous allons cette année lancer notre plateforme de e-learning : ces modules de compliance ont été intégralement développés en interne, pour être au plus près de notre réalité et de nos risques. Je consacre un temps conséquent à dialoguer avec les équipes et nos officiels. Je m’implique d’autre part dans des projets transversaux, afin que la compliance soit intégrée dans ce qu’on fait.
C’est la satisfaction, quand je rentre chez moi, de participer à un monde meilleur pour mes enfants, et pourquoi pas pour tous les petits gamins qui courent, sautent et lancent un peu partout dans le monde. Je me dis qu’ils méritent qu’on leur propose un moyen honnête et sain de s’exprimer et de développer leur potentiel physique et mental.
En tant que fédération sportive, nous sommes très exposés aux conséquences du Covid pour la tenue d’évènements accueillant du public. Nous avons beaucoup travaillé à la mise en place de protocoles pour que nos évènements les plus importants soient maintenus dans le strict respect des normes sanitaires.
Il y a un mouvement de fond concernant les valeurs et la prise en compte des aspects ESG, Droits Humains, Diversité et Inclusion depuis déjà quelques années. On peut se poser la question du rôle des fonctions de Conformité sur ces sujets. Doivent-ils être intégrés ou réunis dans un grand portefeuille ? Ou s’agit-il de sujets qui doivent être traités séparément par des directions spécialisées ? Personnellement, je cherche encore la réponse !
L’aspect éthique donne une dimension humaine, voire un peu philosophique, à mon métier. Cela me permet de dégager des lignes de conduite pour « faire société » au sein de notre organisation, et d’accéder à un domaine d’intervention assez large, car il couvre la question de nos valeurs et du vivre ensemble.
En fait, à cause du Covid, nous nous retrouvons dans une situation assez exceptionnelle. A partir de cette année, nous organiserons un grand évènement de portée mondiale chaque été pendant 4 ans. Notre prochaine grande échéance, ce sont les Championnats du Monde d’Athlétisme à Eugene, USA, en juillet 2022. C’est la première fois qu’un tel évènement se tient aux Etats-Unis. Cela promet d’être spectaculaire ! En 2023, nous revenons en Europe, à Budapest, un des berceaux de l’athlétisme européen pour les Championnats du Monde 2023. On retrouvera les 32 disciplines olympiques de l’athlétisme à Paris en 2024. Le Comité International Olympique étant le maître d’œuvre sur les J.O, nous fournissons pour notre part l’expertise technique. Nous travaillons par ailleurs sur les sujets « chauds » du moment, notamment la réglementation des innovations technologiques : des chaussures de course de plus en plus rapides, entre autres. Enfin, en 2025, nous aurons de nouveaux Championnats du Monde. Je fais partie du panel chargé d’évaluer les Candidatures en vue d’une sélection cet été.
Je peux vous citer quelques auteurs dont je recommande la lecture :
C’est une condition à la fois essentielle, mais nécessairement discrète, à la conduite des affaires. La compliance, c’est comme l’athlétisme ! Pratiquée avec discipline et régularité, elle est le gage d’une vie saine et dynamique.
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