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Le PNF enquête sur des soupçons de corruption au sein d’Interpol

Chisinau, capitale de la Moldavie, mardi 4 juin. Des enquêteurs de l’Office français anticorruption (OCLCIFF), des agents du FBI, des policiers moldaves, des magistrats du PNF et du parquet anticorruption moldave poussent les portes du bureau local d’Interpol. Dans les heures qui suivent, d’autres perquisitions sont menées au ministère de l’Intérieur moldave et au domicile de l’ex-ministre de la Justice et ancien président de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol.


Au total, 5 personnes sont interpellées et placées en garde en vue, notamment pour corruption. En échange de pots-de-vin pouvant s’élever à plusieurs millions de dollars, ces fonctionnaires auraient compromis des enquêtes portant sur les plus gros criminels du monde.


Des notices rouges mystérieusement effacées


C’est la première fois qu’Interpol, l’organisation intergouvernementale regroupant 196 pays et dont le siège se trouve à Lyon, fait l’objet d’une enquête aussi fracassante. Mise en place pour favoriser la coopération policière à travers le monde et traquer les criminels les plus recherchés, elle se retrouve aujourd’hui au cœur d’une vaste affaire de corruption. L’enquête pourrait mener les justices française et moldave aux narcotrafiquants les plus importants du monde, ayant pu mystérieusement être effacés des fichiers d’Interpol et circuler librement. D’après le parquet moldave anticorruption, joint par « le Nouvel Obs », parmi la vingtaine de criminels de nationalités différentes qui auraient bénéficié de ce système figurent en effet des Français, dont un narcotrafiquant d’envergure.


Le début de l’enquête remonte au 25 août 2023. Des fonctionnaires en poste à Interpol s’inquiètent de manœuvres inhabituelles visant des notices rouges. Certaines sont temporairement désactivées, parfois même effacées. Les « notices rouges » sont des demandes diffusées aux services de police des pays membres pour permettre l’arrestation de personnes recherchées. La fiche précise la dangerosité et les faits qui sont reprochés à l’individu. Très vite, les fonctionnaires français s’aperçoivent que les manipulations de notices rouges sont le fait de membres du bureau moldave d’Interpol et alertent la justice française.


Un ancien ministre de la Justice moldave impliqué


Le Parquet national financier (PNF) ouvre immédiatement une enquête et la confie à l’Office central de Lutte contre la Corruption et les Infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Une équipe commune d’enquête est constituée avec la Moldavie, et le FBI en soutien technique. Des informations seront par la suite fournies par le Royaume-Uni. Très vite, l’enquête confirme que des officiels moldaves auraient été rémunérés pour modifier des notices rouges, ou fournir des informations à des personnes recherchées.


Les opérations sont donc lancées début juin. Au total, 33 perquisitions sont menées chez 12 suspects, et 5 personnes sont finalement interpellées. « Sont principalement concernés le bureau central national Interpol de Moldavie et le service qui gère les demandes d’asile », indique une source proche du dossier. Parmi les individus interpellés figure Vitalie Pirlog, ancien ministre de la Justice moldave, et élu en 2017 président de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol (CCF). Il est également l’ancien directeur du Service de renseignement et de sécurité de Moldavie. Un avocat, figure du barreau moldave, est également impliqué : il a défendu ces dernières années plusieurs clients, dont un poursuivi pour blanchiment, ayant dissimulé ses avoirs aux Emirats arabes unis. Mihail Voda, chef de l’inspection générale des migrations du ministère de l’Intérieur depuis mars 2023, a également été arrêté.


Si le rôle de chacun n’a pas été précisé, un système, consistant à donner le statut de demandeur d’asile à une personne recherchée pour faire suspendre sa notice rouge, a été mis au jour. Les téléphones portables, ordinateurs et documents saisis sont en cours d’exploitation pour mieux comprendre l’implication de chacun.


Des narcotrafiquants français parmi les bénéficiaires


Dernière personne interpellée, le 5 juin : Viorel Tentiu, chef du bureau d’Interpol de Moldavie depuis 2016. C’est le seul à avoir été placé en détention pour une période de trente jours, les autres individus ayant été remis en liberté. « Un groupe de personnes de différentes nationalités est suspecté d’avoir mis en œuvre un schéma de corruption pour permettre à des personnes recherchées de bloquer et d’effacer les notices rouges qui les visent, en versant des pots-de-vin à des agents publics, notamment en Moldavie », a précisé le procureur de la République financier, Jean-François Bohnert, dans un communiqué.


Pour l’instant, les bénéficiaires n’ont pas été tous identifiés. Parmi eux figurent des Français, dont des narcotrafiquants activement recherchés par la France. Certains d’entre eux sont réfugiés à Dubaï, et ont bénéficié ces dernières années de la coopération judiciaire insuffisante entre les Emirats et la France. Certains ont même pu voyager alors qu’ils étaient visés par des notices rouges.


Un sujet particulièrement sensible, au cœur de la lutte en France contre le narcotrafic. Gérald Darmanin s’est rendu lui-même à Dubaï en octobre dernier, pour favoriser la coopération entre les deux pays, et un magistrat de liaison a été installé récemment. Un sujet qui agite également Interpol, dont le président… est un Emirati.


Par Ingrid Gallois et Violette Lazard

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