Accélérant sa campagne « fournaise ardente » contre les entrepreneurs et les hauts fonctionnaires soupçonnés de détournements de fonds, Hanoï a démarré, ce mardi, le procès de la dirigeante de l'un des plus grands groupes immobiliers du pays. En tétanisant les officiels, ces enquêtes ont freiné plusieurs grands projets et pesé sur le dynamisme de la croissance.
Pendant des années, le chauffeur de Truong My Lan a livré les sacs de billets, récupérés à la Saigon Joint Stock Commercial Bank, soit à la villa de la femme d'affaires, soit à son bureau, au 39e étage de la tour Times Square dans le district 1 d'Ho Chi Minh City.
Avant chaque remise, la patronne du groupe immobilier Van Thinh Phat ordonnait à la direction de la banque, qu'elle contrôlait, de lui organiser de faux prêts sous de faux noms. Au total, les magistrats vietnamiens, qui la jugent à partir de ce mardi, l'accusent d'avoir détourné 12,5 milliards de dollars et ainsi opéré le plus important réseau de corruption jamais mis à jour dans le pays communiste.
A l'issue de plusieurs mois d'enquête qui ont tétanisé les milieux d'affaires, la justice, qui travaille sous l'autorité du Parti communiste, a inculpé 85 personnes, dont des dizaines de hauts fonctionnaires venus de différents ministères, mais également de la banque centrale du pays.
ous sont soupçonnés d'avoir couvert ou bénéficié d'un gigantesque réseau de sociétés fantômes organisé par des cadres de la société Van Thinh Phat pour faciliter leurs opérations immobilières ou leur enrichissement personnel. Truong My Lan risque la peine de mort quand ses associés les plus proches risquent, eux, des peines d'emprisonnement à vie à l'issue de ce procès, qui pourrait courir jusqu'en avril.
Les médias d'Etat vietnamiens couvrent largement ces procédures, qui doivent permettre de mettre en scène la détermination du pouvoir central et du secrétaire général du Parti, Nguyen Phu Trong, dans le grand combat contre la corruption.
Dans le cadre de cette campagne baptisée « fournaise ardente » par le Parti, des milliers de fonctionnaires et de dirigeants d'entreprise ont fait l'objet d'enquêtes portant sur plusieurs scandales. Début 2023, le président Nguyen Xuan Phuc et deux vice-Premiers ministres avaient eux-mêmes été poussés à la démission dans le cadre de dossiers distincts portant sur des détournements de fonds pendant la pandémie de Covid.
Selon les experts, cette multiplication des arrestations pourrait, à terme, rassurer les investisseurs étrangers inquiets de la culture des pots-de-vin dans le pays, mais a, dans un premier temps, pesé sur l'activité économique. « Malgré les succès de la campagne anticorruption, son approche rapide et agressive a eu des conséquences économiques négatives, telles qu'un ralentissement notable du processus administratif. Cela est dû au fait que les fonctionnaires s'inquiètent de faire l'objet d'une enquête et se dérobent à leurs responsabilités », explique le chercheur Nguyen Khac Giang, dans son dernier rapport pour l'Institut Iseas-Yusof Ishak de Singapour.
A l'appui de sa démonstration, le spécialiste pointe la chute, en 2022 et sur le premier semestre de 2023, des investissements publics validés par l'Etat central ou les collectivités locales. « La crainte d'être impliqué dans des enquêtes anticorruption a fait hésiter de nombreux fonctionnaires à approuver des projets ou des licences, ce qui a entraîné de graves perturbations pour les entreprises », particulièrement dans l'immobilier, note l'expert, avant de pointer également les démissions en masse de fonctionnaires, soudain inquiets de se retrouver à des postes trop exposés.
Ressentie en plein refroidissement de la demande chinoise, cette anxiété de l'appareil d'Etat vietnamien a alimenté un ralentissement de la croissance économique. Elle est passée de 8 %, en 2022, à 5 % l'an dernier. Elle pourrait, selon les dernières projections, rebondir à 6 % cette année.
Par Yann Rousseau
Publié le 5 mars 2024
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