Rédacteurs : 🖋 Emmanuel DAOUD, avocat associé du cabinet VIGO, membre du réseau GESICA 🖋 Martina BIONDO, élève-avocate au barreau de Milan
Le groupe Perenco est une multinationale spécialisée dans l’exploitation des champs pétroliers en fin de vie qui opère dans plusieurs pays du monde, dont la République Démocratique du Congo (RDC), et dont la société mère, Perenco S.A., est sise à Paris. Depuis plusieurs années, le groupe est pointé du doigt par plusieurs associations pour une prétendue opacité financière et de prétendues atteintes aux droits humains et à l’environnement. S’agissant de ses activités d’extraction en RDC, il lui est notamment reproché de publier peu d’informations relatives à ses activités - telle que son chiffre d’affaires ou sa structure de gouvernance - et de polluer le sol, l’air et les eaux congolais. En réponse à ces allégations, Perenco S.A. a toujours affirmé que sa filiale congolaise était indépendante de la maison mère française, cette dernière lui apportant exclusivement du « support »[1]. Cette défense visait notamment à exclure toute responsabilité de la société mère ainsi que la compétence du juge français pour juger des faits éventuellement commis par sa filiale.
Afin d’obtenir certains éléments de preuve, les associations Sherpa et Les Amis de la Terre ont déposé, en 2019, une requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Cet article permet à toute personne intéressée de demander au juge d’autoriser des mesures d’instructions visant à conserver ou à établir la preuve de faits, avant tout procès, dont pourrait dépendre la solution d’un litige. En particulier, les requérantes ont demandé au juge de confier à l’huissier de justice la mission i) de se rendre dans les locaux de la société Perenco S.A. à Paris, ii) de se faire communiquer l’emplacement des bureaux, postes de travail, archives papiers et les adresses mails de plusieurs dirigeants et des responsables RSE, iii) de réaliser des recherches spécifiques sur les ordinateurs et les archives papiers de certains employés et iv) de recueillir les documents recherchés. Par ordonnance du 2 août 2019, le Président du Tribunal judiciaire de Paris a fait droit à la demande des requérants. Dans un souci de conservation de preuves, Perenco n’a pas été informée de ladite décision. Toutefois, une fois l’huissier à leur porte, les dirigeants de Perenco S.A. ont refusé d'exécuter cette ordonnance et de permettre à cet huissier d'accéder à leurs locaux. Par la suite, les deux associations ont déposé un nouveau recours demandant que la mesure probatoire soit assortie d’une astreinte financière.
Le 22 octobre 2019, le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté ce recours en relevant
i) que les omissions reprochées à Perenco S.A dans le contrôle des activités de ses filiales, quand bien même elles seraient établies, « n’établissent pas l’existence d’un possible fait générateur qui nécessite d’évidence un acte positif ayant une causalité directe et immédiate sur le dommage environnemental »,
ii) que « le seul contrôle par la société anonyme Perenco des activités des sociétés du groupe Perenco ne saurait constituer le fait générateur précité »,
iii) que « le possible procès futur concernant le dommage environnemental est soumis aux dispositions […] de l’article 4 du Règlement (CE) n° 864/2007 – Rome II et ne pourrait s’exercer qu’en République Démocratique du Congo, pays où le dommage est [c]ensé être survenu »,
iv) qu’« un procès futur devant les juridictions françaises […] est manifestement voué à l’échec », et
v) que « le motif légitime prévu par l’article 145 du Code de procédure civile n’est pas établi » [2].
Sur appel des ONG demanderesses, la Cour d’appel de Paris a, quant à elle, jugé que le lieu d’émission des substances polluantes et le lieu de survenance des dommages sont tous les deux situés en RDC et que les parties demanderesses n’ont pas établi l’existence d’un fait générateur en France qui correspondait à l’évènement ayant une causalité directe et immédiate par rapport au dommage environnemental. C’est pourquoi, la Cour a retenu que, en vertu de l’article 7 du Règlement de Rome II, la seule loi applicable était la loi congolaise[3].
Toutefois, à la suite du pourvoi intenté par Sherpa et Les Amis de la Terre, la Cour de cassation a tranché la question concernant le droit applicable par un arrêt du 9 mars 2022 en affirmant qu’ « [i]l résulte des articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile que la qualité à agir d'une association pour la défense d'un intérêt collectif en vue d'obtenir une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile s'apprécie, non au regard de la loi étrangère applicable à l'action au fond, mais selon la loi du for en ce qui concerne les conditions d'exercice de l'action et selon la loi du groupement en ce qui concerne les limites de l'objet social dans lesquelles celle-ci est exercée »[4]. Ce dernier arrêt est particulièrement novateur et risque d’avoir une incidence considérable sur la vie des sociétés mères sises en France et ayant des filiales à l’étranger. En effet, avant cette décision et en dehors de l’hypothèse de poursuites pénales, les sociétés mères ne pouvaient pas être visées par des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile concernant des faits reprochés à leurs filiales étrangères. La Cour de cassation consacre donc la possibilité d’obtenir le prononcé de toutes les mesures d’instruction en matière civile.
[1] Le Monde, Perenco, boîte noire pétrolière et toxique en RDC, 9 octobre 2019.
[2] Tribunal de Paris, 22 octobre 2019, n° 19/58127.
[3] Cour d’appel de Paris, 17 septembre 2020, n° 19/20669.
[4] Cass., 9 mars 2022, n° 20-22.444.
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