Tout un symbole. Il y a un an, ArcelorMittal a été désigné comme partenaire officiel des Jeux olympiques de Paris. Le leader mondial de l’acier s’est vu octroyer le privilège de construire la torche de la flamme olympique, qui doit arriver à Marseille ce 8 mai, avant de traverser le pays pour finir sa course à Paris le 26 juillet, date de la cérémonie d’ouverture.
Une opération de communication inespérée pour l’industriel le plus polluant de France, et pour son directeur général, Aditya Mittal, qui s’était aussitôt vanté de cette nomination, marquant, selon lui, une nouvelle étape vers « des aciers meilleurs pour la planète et ses habitants ». Quelques jours plus tôt, Disclose et Marsactu révélaient pourtant que l’industriel s’est rendu coupable en 2022 d’importantes pollutions illégales dans ses usines de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. Notre enquête démontrait également qu’ArcelorMittal faisait partie des principaux champions des émissions de CO2 en Europe.
Depuis, la situation ne semble pas s’être arrangée.
En 2023, son usine dunkerquoise était toujours hors la loi. En cause : des rejets de « poussières en excès » et le fonctionnement « non conforme » d’un lieu stratégique : l’unité d’agglomération, là où sont préparés les minerais qui seront ensuite transformés en fonte. Selon un compte rendu de l’inspection de l’environnement que Disclose s’est procuré, ArcelorMittal a rejeté 17,4 tonnes de particules fines en trop pendant au moins quatre mois, entre décembre 2022 et avril 2023.
À Dunkerque, outre les pollutions répétées de l’air, ArcelorMittal pille les ressources en eau potable. D’après l’inspection de l’environnement, l’industriel s’est servi pendant deux ans, en 2021 et 2022, dans le réseau public qui dessert les habitations autour du site, soit quelque 200 000 personnes. Le leader de l’acier, normalement autorisé à puiser un maximum de 850 000 m3 d’eau par an pour ses salariés, son réseau incendie ou le nettoyage des outils de production, a siphonné 228 113 m3 d’eau en plus sur ces deux années. Soit l’équivalent de 91 piscines olympiques remplies illégalement.
Motif invoqué par ArcelorMittal auprès de l’administration : des « fuites » sur son réseau relié à la mer du Nord et un canal d’eau douce. Mais plutôt que de réparer ses tuyaux percés, qui laisseraient échapper plus de 1,4 million de m3 d’eau chaque année, selon l’inspection de l’environnement, la direction de l’usine a préféré se servir dans le réseau public.
Ce prélèvement est d’autant plus dommageable qu’en 2022, les entreprises ayant des installations classées, comme ArcelorMittal, ont été sommées par la préfecture de réduire leur consommation d’eau de 10 %, au printemps et en été, pour cause de grande sécheresse. Cette année-là, la plus chaude depuis 1900, la multinationale a augmenté ses prélèvements de 15 %. Pour cette infraction, elle n’a écopé que d’une amende de 15 000 euros. Une paille, comme l’a admis le numéro 2 de la préfecture du Nord. Dans son arrêté du 11 août 2023, Louis-Xavier Thirode indique que « le montant du préjudice environnemental est estimé à un montant supérieur ». Disclose a fait le calcul. Si l’on tient compte du coût moyen du m3 d’eau, établi par la préfecture à « 4,73 euros dans le bassin Artois-Picardie », alors le manque à gagner pour la collectivité est d’au moins 600 000 euros ; 40 fois le prix de l’amende officielle.
Malgré le rappel à l’ordre, la direction du site d’ArcelorMittal à Dunkerque ne s’est pas pressée pour résoudre le problème. Selon un arrêté réclamant des « prescriptions complémentaires », daté du 20 novembre 2023, la firme a soumis un plan d’action qui n’inclut toujours pas « de volet spécifique à la recherche et à la réparation de ces fuites ». L’industriel avait jusqu’au mois d’avril pour revoir sa copie. Sollicité sur ce point, ArcelorMittal assure à Disclose avoir « réduit la consommation du site de Dunkerque en 2023 en traitant des fuites ». La société ajoute avoir « renforcé son système de surveillance pour prévenir l’apparition de nouvelles fuites ».
À plus de 1 000 kilomètres de Dunkerque, au cœur d’une immense zone industrielle à proximité de Marseille (Bouches-du-Rhône), se trouve l’usine de Fos-sur-Mer. Ici, Disclose a révélé, rapport interne à l’appui, qu’ArcelorMittal a dépassé les limites légales d’émissions de particules fines dans l’air pendant les deux tiers de l’année 2022, ce qui lui a valu une pénalité financière de 400 000 euros. Trois mois après la publication de l’enquête, l’inspection du travail a fait une visite inopinée sur place. Celle-ci a conduit à la menace d’une fermeture de l’usine, le 19 juin dernier, pour cause de mise en danger de la santé des salariés. Pour éviter la mise à l’arrêt, ArcelorMittal a commandé des centaines de nouveaux masques et promis, le 6 juillet, « un plan d’action » pour protéger ses employés. Le groupe annonçait notamment la remise en service de systèmes de dépoussiérage et l’installation de sas pour assurer l’étanchéité entre l’aciérie et le reste de l’usine.
Près d’un an plus tard, aucun sas ni système de dépoussiérage conforme n’ont encore été installés, comme le révèle un courrier daté du 22 avril obtenu par Disclose. La lettre, signée de l’inspection du travail, est adressée à la direction locale d’ArcelorMittal. Résultat : les poussières toxiques empoisonnent toujours l’air ambiant.
Les autrices soulignent la présence de « d’épaisses couches de poussière » dans des espaces censés être protégés, telles que des « salles de réunion, de bureaux et (…) de restauration ». Des poussières composées d’une « variété d’agents chimiques » et de substances « toxiques pour la reproduction [humaine] », rapportent encore les inspectrices, qui demandent à la direction du site de mettre en place sous huit mois un système de ventilation adéquat et un dispositif de captation à la source des substances dangereuses. Cet énième avertissement aura-t-il plus d’effet que la menace de fermeture de l’été dernier ? « Le plan d’action avance conformément au planning », explique à Disclose la chargée de communication d’ArcelorMittal, Isabelle Chopin. Dans un e-mail daté du 6 mai, elle assure que « deux tiers des sas à créer ont été construits » et que le « plan de nettoyage des structures progresse ».
Du nord au sud du globe, la multinationale de l’acier accumule les atteintes à l’environnement et à la santé des populations. Depuis l’année 2020, ArcelorMittal a écopé de plus de 11 millions d’euros d’amendes pour des atteintes à l’environnement, d’après les calculs de Disclose.
En Afrique du Sud, le groupe a reçu une amende de 205 000 euros pour des rejets excessifs de sulfure d’hydrogène, un gaz toxique à l’odeur d’œuf pourri qui, même à faible concentration, peut provoquer des maux de tête, des lésions neurologiques voire la mort. Une plainte déposée en août dernier vise également la complicité du gouvernement sud-africain qui autorise ArcelorMittal à polluer 3 à 7 fois plus que les seuils en vigueur, selon des ONG locales qui sont également membres de la « coalition pour un acier durable », à l’origine du rapport publié en avril : « le vrai prix de l’acier ».
Au Mexique, ArcelorMittal a été condamné par un procureur chargé de la protection de l’environnement à payer 30 000 dollars. Motif : la firme a déboisé une parcelle de forêt dans une zone classée par l’Unesco afin d’agrandir une mine de fer. À la destruction des écosystèmes s’ajoute la violence des organisations criminelles mexicaines qui auraient pris le parti d’ArcelorMittal et de son partenaire local, la société Ternium. « Des membres de cartels nous ont dit d’arrêter d’interférer avec les mines », a témoigné un habitant d’Ayotitlán, à l’ouest de Mexico, auprès d’une coalition d’activistes pour un acier équitable. Deux défenseurs de l’environnement mobilisés contre les ravages causés par les mines d’ArcelorMittal sont morts dans des circonstances troubles. Auprès de la coalition d’ONG, la multinationale nie toute implication dans ces meurtres.
« Nos terres sont devenues des dépotoirs »
DADAH KONKA, AGRICULTEUR AU LIBERIA.
Au Liberia, depuis 2021, la firme et son partenaire local ont détruit 883 fermes et cultures de cacao, de plantain et de caoutchouc, sur près de 400 hectares. Motif ? L’extension d’une mine de fer pour pouvoir tripler sa production. Après deux ans de combat, seulement 200 fermiers ont obtenu réparation. Par ailleurs, « des milliers de personnes sont affectées, n’ont nulle part où aller et plus rien à manger », témoigne à Disclose Dadah Konka, un agriculteur qui a vu un quart de ses cultures détruites. « ArcelorMittal offre de l’eau en bouteille à ses employés pendant qu’elle entrepose ses déchets sur 50 hectares de nos terres cultivables, qui sont devenues des dépotoirs ». Jusqu’à présent les négociations entre les communautés locales, défendues par l’ONG Green Advocates International, et la direction d’ArcelorMittal ont échoué.
Un pays est parvenu à inverser le rapport de force avec la multinationale aux près de 860 millions d’euros de bénéfices en 2023 : le Canada. Le 14 décembre 2023, ArcelorMittal s’est vu appliquer le principe du pollueur-payeur. Le groupe ainsi été condamné par la cour d’appel de Montréal à payer une amende record de 10,2 millions d’euros pour des infractions telles des rejets « de substances nocives » dans les rivières autour de sa mine de fer de Mont-Wright, dans le nord du Québec, ou ses « déclarations fausses et trompeuses » masquant l’ampleur de ses rejets toxiques, entre 2011 et 2013. En tout, le groupe a été poursuivi pour 93 chefs d’accusation.
En 2022, ArcelorMittal est soupçonné d’avoir récidivé en rejetant illégalement des polluants dangereux. La firme risque une nouvelle amende d’environ un million de dollars, selon le média canadien La Presse. « Si les entreprises ne respectent pas les règles environnementales qui régissent la mine, elles risquent, à terme, de perdre leurs autorisations », a prévenu la cour d’appel québécoise.
En attendant que le partenaire de Paris 2024 montre un véritable « respect des autres et de l’environnement », comme le promeut le mouvement olympique, une dizaine de défenseurs de l’environnement, originaires du Liberia, du Mexique et de l’Afrique du Sud, seront à Marseille pour accueillir la flamme olympique. Représentants de communautés asphyxiées par les pollutions d’ArcelorMittal, ils espèrent enrayer une opération de communication qu’ils jugent dangereusement malhonnête.
Enquête : Nina Hubinet, Ariane Lavrilleux
Edition : Mathias Destal
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