BLANCHIMENT DE CAPITAUX ET FINANCEMENT DU TERRORISME

Christophe BARDY - GRACES community
9/8/2024
Propulsé par Virginie
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En dépit des complexités des marchés africains et des particularités du contexte sociologique de développement, l’Afrique de l’Ouest continue d’attirer des investissements étrangers massifs dans tous les domaines. Paradoxalement, cette ruée des investisseurs américains, européens, asiatiques et australiens vers la région, depuis des décennies, peine encore à se traduire par une amélioration conséquente des conditions de vie des populations. Parmi les atouts africains qui attirent les flux privés vers le continent, l’on note le potentiel en ressources naturelles, l’émergence d’une classe moyenne, l’amélioration du climat des affaires, le dynamisme démographique et la diversification croissante des économies.


Tandis que diverses stratégies nationales de développement sont mises en place par les pays de la région pour résorber le chômage et favoriser la création de richesses, la question de la dépendance à l’aide publique au développement ne cesse de remettre continuellement en question l’adéquation des politiques publiques et la capacité de financer un développement accéléré et soutenu à partir de capitaux propres. Plusieurs diagnostics ont été posés à cet effet pour examiner les facteurs à l’origine de cette déperdition critique des ressources. Parmi ces facteurs, l’on note les flux financiers illicites (FFI). En effet, les rapports du CNUCED (2020), de l’OCDE (2018) et de Thabo MBEKI (2014) sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique ont en commun d’avoir identifié trois (3) catégories de sources de FFI à savoir : les activités criminelles, les activités commerciales et la corruption.


La région ouest-africaine se caractérise par une forte densité démographique et une diversification croissante de son économie. Elle a connu au cours des quarante (40) dernières années, une dynamique d’urbanisation sans précédents. La modicité des transferts internationaux, l’importance de la dette publique de plusieurs pays par rapport à leurs capacités de remboursement, les difficultés persistantes pour mobiliser l’épargne locale et les ressources budgétaires viennent amplifier les défis à relever pour atteindre les objectifs sociaux, environnementaux et économiques d’un développement durable et équitable. Dans un tel contexte, par ailleurs marqué par un faible taux de bancarisation et une forte prédominance du cash, la corruption a une expression sévère et difficile à contrôler.


La corruption a toujours constitué un frein majeur à l’émergence des économies ouest-africaines. En fait, elle altère l’intégrité des indicateurs économiques et fausse les prévisions du développement. Dans plusieurs pays de la région, la corruption, en particulier celle impliquant les pouvoirs publics, est une source principale d’enrichissement et de blanchiment de capitaux (BC). Elle entrave la promotion de la transparence, la sécurité des personnes et de leurs biens, et compromet sérieusement l’intégrité du système financier. Pis encore, la corruption sert d’élément catalyseur à de nombreuses activités criminelles dont le terrorisme et son financement. Ses effets néfastes sur la gouvernance, le développement humain et la stabilité ne sont plus à démontrer.


Mesurant l’ampleur de ce phénomène dans le monde, la communauté internationale sous l’égide du Groupe d’Action Financière (GAFI) a intensifié les efforts de lutte contre la corruption, en privilégiant l’objectif de déposséder les auteurs des revenus tirés des activités corruptives, à travers des mécanismes de prévention et de répression du blanchiment de capitaux et financement du terrorisme. Nonobstant ces efforts, la corruption persiste insidieusement, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. C’est pourquoi, il est apparu nécessaire pour le GIABA, d’entreprendre une étude de typologies à l’effet de faire ressortir, sur la base d’études de cas, les principales méthodes et techniques de BC/FT résultant des diverses pratiques corruptives en Afrique de l’Ouest.

L’étude a révélé que la corruption alimente, à une proportion sérieuse, le blanchiment de capitaux dans la mesure où les produits qui en résultent sont réinvestis de différentes manières dans le circuit économique pour revêtir une apparence légitime. A son tour, le blanchiment de capitaux garantit à leurs auteurs les opportunités de jouir impunément des produits de la corruption.


Elle a aussi révélé que pour blanchir le produit de la corruption, les délinquants ont recours à différentes techniques et méthodes. Dans les cas de blanchiment les plus sophistiqués, on note la superposition des opérations bancaires incluant le transfert de l’argent sur plusieurs comptes au plan national et international. Dans le cadre des transferts internationaux, certains pays considérés comme protecteurs du secret bancaire sont choisis comme destination finale des fonds lorsqu’ils doivent être gardés sur un compte bancaire. D’autres méthodes sophistiquées impliquent la création de sociétés écran indirectement contrôlées par des PPE ou la mise en place des hommes de paille afin de collecter et recycler les fonds issus de la corruption. Dans la grande majorité des cas, les fonds issus de la corruption circulent en espèces pour alimenter directement les dépenses du train de vie, les acquisitions de biens immobiliers etc.


Dans l’ensemble, les personnes mises en cause sont

majoritairement des agents publics, au premier rang desquels se trouvent les PPE, qui abusent de leur position privilégiée de fonctionnaire de l’Etat préposés à

assurer un service public conformément au respect des lois et règlements applicables à chaque secteur d’activité. Les produits générés par leurs pratiques

corruptives sont systématiquement blanchis, notamment dans des produits financiers ou boursiers proposés par les institutions financières, et aussi à travers

les secteurs de l’immobilier, l’agriculture, l’élevage et autres activités commerciales formelles ou informelles. La ré-introduction des fonds issus de la

corruption dans le circuit économique légal se fait par des opérations de versements d’espèces, de remises de chèque, de virement de compte à compte et de banque à banque, etc.


En outre, les législations nationales sur la protection des dénonciateurs sont à divers stades de déploiement. Non seulement les cadres et politiques de recouvrement d’actifs ne sont généralement pas adaptés aux objectifs de la LBC/FT, mais le manquement aux obligations de déclaration de patrimoines et autres mesures de transparence n’est pas non plus assorti de sanctions proportionnées et dissuasives. 


Fait marquant, la plupart des pays ayant des agences nationales de lutte contre la corruption, n’ont pas assorti ces institutions de la qualité d’officier de police judiciaire, bien que dans quelques pays (tels que Bénin, Burkina Faso, Niger), elles sont autorisées à exercer les droits reconnus à la partie civile.

En termes de défis, les pays sont confrontés à la difficulté d’assurer une coordination efficace des réponses nationales au blanchiment de capitaux et à la corruption, en raison d’un manque de coopération entre les agences. En outre, la détection des cas de corruption et les enquêtes sur ces derniers ne tiennent pas compte des exigences de la LBC/FT, notamment en matière de retraçage et de confiscation des produits tirés de la corruption.


Bien que cet exercice de typologies n’ait pas permis d’établir et de documenter le lien entre la corruption et le financement du terrorisme, il a néanmoins donné des indications sur le niveau de risque de FT associé au phénomène. En effet, la capacité de la corruption à alimenter la criminalité organisée et d’autres infractions sous-jacentes au blanchiment de capitaux fait qu’il est essentiel que les autorités compétentes des États membres comprennent et apprécient pleinement cette interrelation.

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