Par Louis Dubar
Le Sénat a organisé ce lundi 4 avril un colloque sur l’indemnisation des victimes de la corruption et des conflits armés. Présidée par la vice-présidente de la Commission des Lois Nathalie Goulet, la réunion a accueilli Ghada Aoun, procureure générale près de la cour d’appel du Mont Liban, figure de la lutte anti-corruption au pays du Cèdre. Agité par une crise économique et sociale depuis 2019, le Liban est secoué par les scandales financiers. Le classement 2021 de l’indice de la perception de la corruption dans 180 pays publié l’organisation Transparency International place le Liban à la 154ème place sur 180, avec un score de 24 %.
Le pays du Cèdre perd une place par rapport à 2020. Pour la procureure générale près de la Cour d’Appel, la corruption est un mal endémique depuis l’indépendance du Liban en 1943. « C’est un grave problème dont les Libanais souffrent depuis la fin du mandat français », souligne Ghada Aoun. « Le confessionnalisme n’a pas favorisé la bonne gouvernance de ce pays, bien au contraire », explique-t-elle. Le Liban est une mosaïque confessionnelle comptant près de dix-huit communautés religieuses. Le système politique national prend la forme d’une « démocratie consensuelle », un système soucieux de prendre en compte les différents équilibres religieux. Les grandes familles maronites, chiites et sunnites se partagent le pouvoir en fonction des appartenances religieuses des uns et des autres.
Chaque communauté doit trouver sa place dans ce mille-feuille politique.
L’accord de Taëf mettant fin à la guerre civile à la fin des années 90 définit les règles du jeu politique : les chrétiens héritent de la présidence de la République et la chambre des députés du Liban est composée avec la moitié de musulmans et la moitié de chrétiens. « Le confessionnalisme a contribué à ce que la corruption soit autant enracinée dans le pays. »
Pour Ghada Aoun, la corruption est présente dans chaque organe de gouvernance, « dans la politique, l’administration, la banque centrale ou dans le corps judiciaire. » Pour la magistrate, « cette situation est à n’en plus finir. » « C’est un crime contre l’humanité, ce qui est arrivé au Liban, on a volé tout un peuple », ajoute-t-elle. Nommée procureure générale près de la cour d’appel du Mont Liban en 2017, « j’étais ahurie de voir autant de dossiers concernant des affaires de corruption. Nous avons commencé à nous y attaquer notamment au sein de l’organe judiciaire. Nous avons découvert plusieurs juges corrompus recevant des pots-de-vin », explique-t-elle.
Ce mal est également rependu « dans les forces de sécurité. » « Je n’imaginais pas l’ampleur de ce fléau », ajoute-t-elle.
En 2020, la juge met en lumière un scandale d’importations de carburant frelaté et émet des mandats d’arrêt à l’encontre de plusieurs proches de Gebran Bassil, président du Courant patriotique libre, un mouvement politique chrétien fondé par le président Aoun.
« Ce système est basé sur un principe, celui de l’impunité. Les forts ont des alliés dans la justice. S’ils obtiennent un marché public, ils peuvent demander le double voire le triple, sans être inquiétés. »
Pour la magistrate, le mouvement de contestation né dans les rues de Beyrouth en 2019 a permis de faire changer les choses et a poussé à quelques changements.
« Ces manifestations étaient le cri de la jeunesse, un mouvement pour dire non à la corruption », explique Ghada Aoun.
Cette contestation a permis davantage de transparence mais tout cela reste fragile. « J’ai fait un pas, j’espère que mes collègues feront la même chose à leur niveau », explique-t-elle.
« Nous faisons face à un grand lobby composé des groupes financiers, du directeur de la Banque centrale, appuyé par des politiciens de la classe politique et certains juges. »
Le gouverneur de la banque centrale dans l’œil du cyclone
Symbole de cette corruption généralisée des élites libanaises, les accusations d’enrichissement personnel planant autour du directeur de la Banque centrale, Riad Salamé ont conduit la procureure Aoun à engager plusieurs poursuites à son encontre.
La magistrate soupçonne le directeur de la Banque centrale de détournement de fonds publics.
Au micro de Public Sénat, elle justifie ses mesures : « La loi libanaise sur l’enrichissement illégitime est très claire. Elle dit que si on observe l’enrichissement évident d’un haut fonctionnaire, c’est une preuve qu’il y a eu enrichissement illégitime.
Ce n’est pas à moi de prouver le contraire », explique-t-elle. « L’acquisition de ces biens est un indice et que cet argent n’est pas lui. » Son épouse et son frère sont également visés par des mandats d’arrêt émis par la justice libanaise. Riad Salamé est également touché par plusieurs enquêtes de la justice française et suisse.
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