• Les prix des actifs à risque ont rebondi après leur chute précipitée de ce début d’année, tandis que les taux d’intérêt de référence ont baissé, ce qui a conduit à un assouplissement global des conditions financières. • Les mesures rapides et audacieuses que les banques centrales ont prises en vue de remédier à de graves tensions sur les marchés ont rehaussé la confiance des marchés, y compris dans les pays émergents, dont certains ont eu recours à l’achat d’actifs pour la première fois, ce qui a contribué à assouplir les conditions financières. • Dans ce contexte de grande incertitude, un décalage apparaît entre les marchés financiers et l’évolution de l'économie réelle. Cette vulnérabilité risque de compromettre la reprise en cas de diminution de la propension au risque des investisseurs. • D’autres vulnérabilités du système financier peuvent être cristallisées par la pandémie de COVID- 19. Des niveaux d’endettement élevés peuvent devenir insoutenables pour certains emprunteurs et les pertes causées par l’insolvabilité pourraient mettre à l’épreuve la résilience des banques dans certains pays. • Quelques pays émergents et pays préémergents sont confrontés à des risques de refinancement et certains d’entre eux ont perdu l’accès aux marchés. • Tout en continuant de soutenir l’économie réelle, les autorités doivent surveiller de près les facteurs de vulnérabilité financière et préserver la stabilité financière. Les prix des actifs à risque se sont redressés sous l'effet des mesures sans précédent prises par les banques centrales. Dans les deux mois qui ont suivi la publication en avril 2020 du Rapport sur la stabilité financière dans le monde, les conditions financières mondiales se sont considérablement assouplies, après leur resserrement brutal en début d’année. Cet assouplissement a été favorisé aussi bien par la baisse notable des taux d’intérêts que par le net rebond des valeurs de marché des actifs à risque. Dans les pays où le secteur financier revêt une importance systémique, les marchés boursiers se sont remis de leur creux de mars, globalement, pour retrouver environ 85 % de leur niveau de la mi-janvier, en moyenne, malgré une dispersion. Ici, les pays dont le secteur financier revêt une importance systémique sont ceux qui ont l’obligation de se soumettre au programme d’évaluation de la stabilité financière tous les cinq ans, à savoir les 29 pays suivantes (S29) : l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la Finlande, la France, RAS de Hong Kong , l’Inde, l’Irlande, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, le Mexique, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Russie, Singapour, la Suède, la Suisse et la Turquie. Si certains marchés boursiers ont récupéré la totalité de leurs pertes, d’autres ne sont qu’à 75 % environ du niveau où ils se trouvaient à la mi-janvier. Parallèlement au redressement des prix, la volatilité des marchés boursiers s’est atténuée après avoir atteint un pic en mars, même si elle dépasse toujours sa moyenne à long terme. L’action rapide et sans précédent des banques centrales est pour beaucoup dans le redressement des marchés. Par exemple, aux États-Unis, les prix des actifs à risque ont amorcé un revirement autour du 23 mars, après que la Réserve fédérale a annoncé la mise en place de mécanismes de crédit pour lutter contre la crise d’une valeur de 2 300 milliards de dollars. Une tendance similaire s’observe sur les marchés financiers dans leur ensemble. Sur les marchés du crédit, les écarts de taux se sont considérablement rétrécis après avoir atteint des sommets. En moyenne, environ 70 % du creusement observé au départ s’est résorbé. Cependant, les écarts varient en fonction de la note de crédit et du lieu. L’émission d’obligations est en forte hausse parmi les emprunteurs mieux notés et les marchés sont aussi de nouveau ouverts aux emprunteurs à caractère spéculatif. La confiance des investisseurs envers les pays émergents s’est aussi nettement améliorée. Les flux d’investissements de portefeuille vers ces pays se sont stabilisés après les sorties de capitaux records du début de cette année. Toutefois, les investisseurs continuent de différencier au sein du groupe des pays émergents et préémergents, comme en témoignent des entrées de capitaux dans certains pays et pour certaines catégories d’actifs. Des pays mieux notés ont également pu émettre de la dette en monnaie forte à un rythme historiquement élevé depuis le début de cette année, et ce plus vite que les pays moins bien notés. Cette différence met en évidence les tensions extérieures auxquelles certains pays émergents restent confrontés. Le redressement généralisé des marchés financiers s’accompagne d’un optimisme croissant des investisseurs quant aux perspectives d'une reprise économique rapide. La confiance des marchés a été stimulée par la réouverture de certains pays et l’assouplissement des mesures de confinement liées à la COVID-19. De surcroît, les investisseurs semblent s’attendre à ce qu’une politique monétaire plus accommodante que jamais continue de soutenir l’économie mondiale pendant longtemps encore. Les mesures prises par les banques centrales ont aiguisé l’appétit des investisseurs pour le risque. Certains pays ont davantage abaissé leurs taux directeurs et les investisseurs s’attendent à ce que les taux d’intérêt restent très faibles pour plusieurs années. Les bilans des autorités monétaires des pays avancés ont gonflé après de nouvelles vagues d’achat d’actifs, des apports de liquidité au système bancaire, ainsi que la mise en place d'accords de swap en dollar et d’autres instruments destinés à favoriser le flux de crédit vers l’économie. Les actifs agrégés des banques centrales du Groupe des Dix (G-10) ont augmenté d’environ 6 000 milliards de dollars depuis la mi-janvier, ce qui représente plus du double de la hausse constatée durant les deux années de la crise financière mondiale à partir de décembre 2007. Cette croissance des actifs représente près de 15 % du PIB du G-10. Un certain nombre de banques centrales de pays émergents ont adopté des mesures non conventionnelles pour la première fois. Dans certains pays, ces programmes d’achat d’actifs ont été lancés en appui à la politique monétaire. Dans d’autres, ils avaient pour but d’approvisionner le marché en liquidités (graphique 7). Ils prévoient notamment l’achat de toute une série d’actifs, notamment des obligations d’État, des obligations garanties par l’État, des titres de créance d'entreprises et des titres adossés à des prêts hypothécaires. Des mesures budgétaires et monétaires ont également contribué à entretenir la confiance des investisseurs. Partout dans le monde, les gouvernements ont déployé de vastes dispositifs d’urgence, d’un montant de près de 11 000 milliards de dollars, pour soutenir les ménages et les entreprises (comme le montre la base de données du Moniteur des finances publiques du FMI consacrée aux mesures budgétaires que les pays ont prises face à la COVID-19)2. Les autorités financières ont également renforcé la confiance des marchés en octroyant des garanties publiques de crédit, en facilitant la restructuration des prêts et en encourageant les banques à se servir de leurs volants de fonds propres et de liquidité disponibles pour accorder des prêts (voir l’inventaire des mesures de riposte contre la COVID-19 du FMI)3. Cette combinaison de mesures de soutien sans précédent semble avoir réussi à préserver les flux de crédit. L’accroissement de la propension au risque des investisseurs a contribué à augmenter les émissions d’obligations sur les marchés, et les banques ont aussi continué d’accorder des prêts dans la plupart des grands pays. Un décalage apparaît entre l’optimisme des marchés financiers et l’évolution de l’économie mondiale. Le regain de confiance des investisseurs repose sur des mesures de soutien robustes, dans un contexte de grande incertitude autour de l’ampleur et de la vitesse de la reprise. Les marchés semblent s’attendre à un rebond rapide de l'activité (en V), comme l’illustre l’amélioration notable des prévisions consensuelles du S&P 500 sur les bénéfices des sociétés. Cependant, les données économiques récentes et les indicateurs à fréquence élevée laissent entrevoir une récession plus profonde que prévu, comme indiqué dans la Mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale de juin 2020. Cela crée une divergence entre le prix du risque sur les marchés financiers et les perspectives économiques, les investisseurs semblant parier sur un soutien continu et sans précédent des banques centrales. L’un des exemples de cette tension est la récente poussée du marché boursier américain, d’une part, et la baisse prononcée de la confiance des consommateurs, d’autre part. Ce découplage soulève la question de savoir si le redressement actuel des marchés boursiers serait durable sans le regain d’optimisme provoqué par le soutien des banques centrales. Ce décalage entre les marchés et l’économie réelle agite le spectre d’une nouvelle correction des prix des actifs à risque en cas de baisse de l’appétit des investisseurs pour le risque, ce qui mettrait la reprise en péril. Par exemple, des marchés boursiers baissiers se sont parfois redressés par le passé, pendant des périodes de fortes tensions économiques, mais pour souvent s'inverser ultérieurement. Sur les marchés d’obligations de société, les écarts de taux des entreprises de catégorie investissement sont relativement réduits en ce moment, ce qui tranche avec leur forte expansion lors de précédents chocs économiques violents. En fait, les valorisations semblent excessives sur bon nombre de marchés boursiers et de marchés d’obligations de société. D’après les modèles des services du FMI, la différence entre prix du marché et les valeurs fondamentales se rapproche de sommets historiques sur la plupart des marchés boursiers et obligataires de pays avancés, le contraire étant vrai pour les actions dans certains pays émergents. Un certain nombre de facteurs pourrait déclencher une réévaluation des actifs à risque, ce qui ajouterait des tensions financières à une récession économique déjà sans précédent. Par exemple, la récession pourrait être plus profonde et plus longue que les investisseurs ne le prévoient actuellement. Une deuxième flambée du virus pourrait survenir, forçant le retour des mesures d’endiguement. Les attentes des marchés quant à l’ampleur et à la durée du soutien des banques centrales aux marchés financiers pourraient s’avérer trop optimistes, ce qui amènerait les investisseurs à réévaluer leur appétit pour le risque et à en réévaluer le prix. Une résurgence récente des tensions commerciales pourrait éroder la confiance des marchés, compromettant ainsi la reprise. Enfin, une généralisation des tensions sociales à travers le monde en réaction à la hausse des inégalités économiques pourrait causer une inversion de la confiance des investisseurs. La pandémie pourrait cristalliser d’autres vulnérabilités financières qui se sont accumulées au cours des 10 dernières années. Premièrement, dans les pays avancés comme dans les pays émergents, la dette des entreprises et des ménages pourrait devenir insoutenable pour certains emprunteurs en cas de grave contraction économique. Comme noté dans de précédentes éditions du Rapport sur la stabilité financière dans le monde, la dette globale des entreprises est en hausse depuis plusieurs années et se situe à des niveaux records par rapport au PIB. La dette des ménages a également augmenté, en particulier dans des pays qui ont été épargnés par les pires effets de la crise financière mondiale de 2007-2008. Cela signifie que bon nombre de pays très endettés vont à présent connaître un ralentissement économique extrêmement brutal. Cette détérioration des paramètres économiques fondamentaux a déjà conduit au rythme de défaillances d’obligations d’entreprise le plus rapide depuis la crise financière mondiale, outre le risque d’une incidence plus large sur la solvabilité des entreprises et des ménages. Deuxièmement, les situations d’insolvabilité mettront à l’épreuve la résilience du secteur bancaire. Les banques affrontent la crise avec des volants de liquidités et de fonds propres plus solides, grâce aux réformes engagées après la crise, et elles peuvent les ponctionner pour octroyer des prêts et absorber des pertes. Certaines banques ont déjà commencé à accroître leurs provisions pour pertes attendues sur prêts, comme en attestent leurs comptes de résultats pour le premier trimestre. Il est probable que cette tendance persiste tandis que les banques évaluent la capacité des emprunteurs à rembourser leurs prêts, tout en tenant compte des aides publiques aux ménages et aux entreprises. Les analystes prévoient des pressions supplémentaires sur la rentabilité des banques, en plus de la faiblesse des taux d’intérêt. Troisièmement, les entreprises financières non bancaires et les marchés pourraient faire face à des tensions supplémentaires. Les événements de mars, lorsque les intermédiaires financiers non bancaires ont bénéficié d’un soutien considérable des pouvoirs publics, laissent penser qu’ils sont vulnérables à des corrections procycliques en cas de choc extérieur. Ces entreprises jouent désormais un rôle plus important dans le système financier que par le passé, comme indiqué dans le Rapport sur la stabilité financière dans le monde d’avril 2020, et le comportement de ce secteur plus vaste en période de profonde récession constitue une inconnue. Les entreprises financières non bancaires risquent aussi de subir des chocs en cas de forte vague de cas d’insolvabilité. Elles pourraient même amplifier ces tensions. Par exemple, un choc brutal sur les prix des actifs pourrait provoquer de nouveaux retraits des fonds de placement, qui, à leur tour, pourraient conduire à des bradages d'actifs de la part de ces gestionnaires de fonds, exacerbant ainsi les tensions sur les marchés. Quatrièmement, certains pays émergents et pays préémergents ont des besoins élevés de refinancement extérieur. Dans le contexte actuel, les pays qui doivent refinancer davantage de dette courent un risque plus élevé de devoir payer plus cher pour ce refinancement. Certains pays dont les besoins de refinancement sont élevés ont également un niveau de réserves relativement faible. Il pourrait ainsi être plus difficile pour les autorités de ces pays de réagir à de nouveaux retraits d’investissements de portefeuille, surtout si leur taux de change n’est pas flexible. La révision à la baisse des notes de crédit pourrait accentuer la pression sur les coûts de financement et les mouvements de capitaux. Depuis le début de cette année, plus d’un tiers des pays exportateurs de pétrole notés par les principales agences ont vu leur note de crédit baisser, alors que cette proportion n’est que d’un quart pour les autres pays. Les autorités doivent trouver le juste équilibre dans leur riposte à la pandémie. Dans ce contexte d’arbitrages difficiles, les autorités doivent continuer de soutenir la reprise tout en veillant à la solidité des institutions financières et en préservant la stabilité financière (voir l’encadré ci- dessous « Priorités de la politique relative au secteur financier pour lutter contre la crise ». Les autorités doivent être conscientes des risques intertemporels de ce soutien. Le recours sans précédent à des outils non conventionnels a sans doute amorti l’impact de la pandémie sur l’économie mondiale et amoindri le danger immédiat qui plane sur le système financier mondial. Cependant, la prudence est de mise pour éviter une nouvelle accumulation de vulnérabilités sur fond de conditions financières souples. Une fois la reprise fermement amorcée, les dirigeants devront s’attaquer en urgence aux faiblesses financières susceptibles d’engendrer des problèmes à l’avenir et de compromettre la croissance à moyen terme. Priorités de la politique relative au secteur financier pour lutter contre la crise Les banques centrales doivent maintenir leur politique monétaire accommodante pour chercher à atteindre leurs objectifs d’inflation et de stabilité financière en ayant recours, aussi longtemps que nécessaire, à des outils conventionnels et non conventionnels en vue de favoriser le flux de crédit vers les ménages et les entreprises. En outre, elles doivent continuer d’apporter des liquidités pour empêcher une détérioration des conditions de financement et du fonctionnement des principaux marchés monétaires, de changes et de titres. Par ailleurs, les banques centrales doivent déterminer quels marchés sont essentiels au maintien de la stabilité financière et concevoir des programmes de soutien en vue de réduire au minimum l’aléa moral et les risques pour elles- mêmes. Les autorités des pays émergents et des pays en développement doivent, dans la mesure du possible, pratiquer des taux de change flexibles pour amortir les tensions extérieures. Pour les pays qui disposent de réserves adéquates, les interventions sur le marché des changes peuvent faire contrepoids au manque de liquidités sur le marché et contribuer à atténuer une volatilité excessive sur le marché. Face à une crise imminente, des mesures de contrôle des mouvements de capitaux peuvent faire partie d’un vaste ensemble, même si elles doivent être appliquées en toute transparence, être provisoires et prendre fin une fois que la crise s’estompe. Les gestionnaires de dette souveraine doivent adopter des plans d’urgence pour faire face à un accès restreint aux marchés de financement extérieur sur une période prolongée. Les banques doivent employer leurs volants de fonds propres, de liquidités et macroprudentiels pour absorber les pertes et gérer le manque de liquidité, ainsi que pour fournir du crédit à l’économie. Tant que la crise dure, les banques doivent suspendre le versement des dividendes et les rachats d’actions pour consolider leurs volants de fonds propres. Là où les banques subissent des chocs de grande ampleur ou de longue durée et où leurs fonds propres deviennent insuffisants, les instances de contrôle doivent prendre des mesures ciblées, et notamment demander aux banques de soumettre des plans crédibles de rétablissement des fonds propres. Tout au long de ce processus, il est important que les risques soient communiqués de manière transparente et que les instances de contrôle émettent des orientations claires. Les instances de réglementation des sociétés d’assurance dans les pays traversant des périodes de tension extrême sur les marchés pourraient être amenées à user de la souplesse prévue par la réglementation, par exemple, pour prolonger la période de récupération des assurés concernés. Les instances de contrôle ne doivent toutefois pas abaisser les normes et doivent demander aux assureurs d’élaborer des plans crédibles pour rétablir leur position de solvabilité tout en continuant de fournir une couverture essentielle aux assurés. Les gestionnaires d’actifs doivent continuer de s’assurer que les cadres de gestion du risque de liquidité soient appliqués de manière robuste et efficace. Les instances de réglementation doivent s’assurer de la disponibilité d’un large éventail d’outils de gestion de la liquidité et encourager les gestionnaires de fonds à en faire pleinement usage lorsque cela sert les intérêts des porteurs. Les instances de normalisation doivent revoir le cadre macroprudentiel applicable aux gestionnaires d’actifs. Une coopération multilatérale s’impose pour protéger le système financier mondial. Il pourrait être nécessaire d’offrir des accords de swap bilatéraux et multilatéraux à un plus grand nombre de pays en vue d’atténuer les tensions sur le financement en monnaies étrangères. Par ailleurs, il faut s’abstenir de tout démantèlement ou morcellement de la réglementation du système financier international par des mesures nationales qui portent atteinte aux normes internationales. Lire le rapport d'avril 2020 et sa mise à jour en juin Virginie Gastine Menou RISQUES ET VOUS
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