Les Etats-Unis demeurent le principal fer de lance de la lutte contre la corruption à l’international
Malgré une actualité « plutôt calme » par rapport à 2022, les autorités américaines ne relâchent pas leurs efforts pour débusquer et punir la corruption internationale. Après un début d’année 2023 marqué par les sanctions à l’encontre d’Ericsson et Glencore, les derniers mois ont apporté leur lot de nouveaux règlements et enquêtes FCPA (Foreign Corrupt Practices Act). Au programme : des sanctions pour corruption en Colombie, en Chine et en Afrique, de nouvelles enquêtes et des recommandations utiles du Department of Justice (DoJ) à destination des entreprises.
En août 2023, le conglomérat financier colombien Grupo Aval et sa filiale bancaire Corficolombiana ont écopé d’une sanction de $80,8 millions dans le cadre d’une résolution américaine coordonnée avec les autorités colombiennes. L’enquête américaine a révélé que, entre 2012 et 2015, Corficolombiana s’était associée au géant brésilien de la construction Odebrecht pour verser plus de $23 millions de pots-de-vin à des responsables du gouvernement colombien.
Ces manœuvres visaient à obtenir un contrat pour la construction et l’exploitation d’une autoroute à péage, baptisée « projet Ocaña-Gamarra ». Pour mener à bien ce stratagème, Corficolombiana a mis en place des contrats fictifs avec des sociétés tierces, qui servaient de relais pour les versements illicites aux fonctionnaires colombiens.
Grupo Avail a accepté un accord de poursuite différée (DPA) de trois ans. En vertu de cet accord, le groupe paiera une amende pénale de $40,6 millions, dont $16 millions déjà versés aux autorités colombiennes. De plus, elle devra régler plus de $40 millions en intérêts de restitution à la SEC (Securities and Exchange Commission).
L’entreprise devra également améliorer son programme de conformité et fournir des rapports réguliers au ministère sur les mesures correctives et la mise en œuvre de mesures de conformité tout au long de la durée de l’accord. Fait notable : l’amende a été réduite de 30% conformément aux nouvelles lignes directrices FCPA (voir plus bas) car l’entreprise s’est rapidement engagée dans des mesures correctives approfondies.
En mai, la société néerlandaise de dispositifs médicaux Koninklijke Philips NV a écopé de sa deuxième sanction FCPA, à hauteur de $62 millions, pour des violations en Chine.
La société a accepté le règlement sans admettre ni nier les accusations : selon la SEC, entre 2014 et 2019, les filiales chinoises de Philips ont accordé des « remises de prix spéciales » aux distributeurs locaux de la société, ce qui a créé un risque de marges excessives susceptibles d’être utilisées pour des paiements abusifs à des représentants gouvernementaux chinois.
Plusieurs pots-de-vin ont effectivement été découverts, comme le dépôt de $14 500 dollars au domicile d’un responsable hospitalier, afin que ce dernier aide Philips à sécuriser la vente de son matériel médical (pour une valeur de $4,6 millions). Le règlement fait état de pratiques inappropriées de la part d’employés et sous-traitants de Philips, visant par exemple à inciter des responsables d’hôpitaux à rédiger des spécifications techniques en faveur des produits Philips dans le cadre d’appels d’offres publics.
En 2013, Philips avait été condamnée à payer $4,5 millions pour des infractions similaires en Pologne. Selon la SEC, malgré les mesures correctives entreprises suite à ce premier règlement, les contrôles internes mis en œuvre par Philips étaient largement insuffisants.
Le même mois, la société américaine de conseil et de recherche technologique Gartner a accepté de régler $2,45 millions à la SEC pour corruption d’agents publics en Afrique du Sud. En cause : le « recrutement », par un responsable de l’activité conseil de Gartner, d’une société de conseil sud-africaine… Dirigée par un ami proche d’un haut responsable public sud-africain.
Le responsable connaissait les relations du tiers avec les pouvoirs publics, puisqu’il l’avait présenté à la direction de Gartner comme une société « extrêmement bien connectée au sein du gouvernement ». Mais face à la SEC, Gartner a justifié cette opération en s’appuyant sur la loi sud-africaine : depuis 2003, les entreprises étrangères doivent avoir recours à un certain nombre de sous-traitants locaux pour prétendre à certains contrats publics.
Ce sous-traitant a été recruté dans le cadre d’une candidature à un contrat public d’une valeur d’$1 million, impliquant le South Africa Revenue Service (SRAS), une organisation publique locale. En 2015, lors des négociations, c’est le SRAS lui-même qui suggéré d’employer l’intermédiaire sud-africain pour satisfaire les conditions d’éligibilité au contrat. Pourtant, le contrat ne fait aucune mention de l’intermédiaire, ni des « quotas locaux » exigés par la loi sud-africaine, et l’intermédiaire ne figure dans aucune facture.
Ainsi, selon la SEC, Gartner « savait ou ignorait consciemment » la possibilité que l’argent versé à ces consultants soit distribué à des fonctionnaires, et n’a pas déployé les procédures adéquates pour prendre en compte les risques de corrruption.
En avril, le fournisseur de services énergétiques néerlandais Frank’s International (désormais Expo Group Holdings) a accepté de payer $8 millions pour violations du FCPA en Angola. L’affaire concerne le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires angolais par l’intermédiaire d’un agent commercial.
Selon la SEC, entre 2008 et 2014, des employés ont versé au moins $5,5 millions en commissions à cet agent commercial, tout en sachant qu’il y avait une forte probabilité que l’argent soit utilisé pour soudoyer des fonctionnaires angolais.
L’affaire présente tous les « red flags » classiques des risques liés aux tiers :
Malgré ces motifs d’alerte, les contrats avec le tiers angolais ont été validés par les employés du siège, à Houston (Texas).
Parmi les autres affaires FCPA en cours, il faut mentionner l’enquête ouverte sur les activités du géant pharmaceutique Pfizer au Mexique. Cette enquête fait suite à un précédent règlement FCPA en 2012, qui avait imposé une sanction de $60 millions à Pfizer pour des pots-de-vin en Chine, Croatie, Bulgarie, Russie et d’autres pays.
Dans le secteur médical américain encore, décidément au cœur de l’actualité FCPA : le fabricant de dispositifs médicaux Stryker a annoncé qu’il était, lui aussi, ciblé par une enquête FCPA. Stryker a déjà réglé des poursuites FCPA en 2013 et 2018.
Sur le banc des accusés du moment, on retrouve également Sam Bankman-Fried (alias « SBF »), fondateur et éphémère PDG de la plateforme d’échange de cryptomonnaies FTX. Arrêté en 2022 aux Bahamas avant d’être extradé vers les États-Unis. SBF est ciblé par de multiples chefs d’accusation – dont FCPA. Le DoJ (Département de Justice américain) accuse Sam Bankman-Fried d’avoir autorisé et dirigé un pot-de-vin d’environ $40 millions en cryptomonnaie à des responsables du gouvernement chinois en novembre 2021. Le paiement aurait visé à influencer ces fonctionnaires pour qu’ils débloquent des comptes d’une valeur de plus d’$1 milliard en crypto-monnaie lui appartenant à SBF, à des fins de blanchiment.
Plus récemment, l’entreprise américaine Albemarle – leader mondial de la production de lithium pour les batteries de véhicules électriques – a révélé qu’elle s’apprêtait à payer $218 millions dans le cadre d’un futur règlement FCPA. Albemarle a également déclaré avoir signalé d’éventuels paiements irréguliers aux autorités néerlandaises, sans divulguer les pays dans lesquels ces pots-de-vin potentiels ont eu lieu. Affaire à suivre…
Enfin, en mars dernier, le DoJ a mis à jour ses recommandations aux entreprises sur l’évaluation des programmes de conformité. Ces recommandations offrent un aperçu des critères retenus par les procureurs américains lorsqu’ils évaluent le programme un conformité. Rappelons que cette évaluation peut influencer le montant final d’un règlement FCPA, puisqu’elle permet au DoJ de déterminer si l’entité cible a déployé des efforts suffisants pour lutter contre la corruption.
Ces recommandations sont donc une ressource précieuse pour les entreprises lorsqu’elles conçoivent et testent leurs dispositifs anticorruption. De cette mise à jour, on retiendra surtout une focalisation accrue sur les sanctions disciplinaires à l’encontre des auteurs d’inconduites, et sur les différentes structures de rémunération qu’une entreprise peut mettre en place pour promouvoir une culture de conformité.
Désormais, en effet, le DoJ vérifiera si une entreprise a développé des critères favorisant la conformité au sein de son système de rémunération des dirigeants et des employés. Par exemple, des critères liés à la conformité peuvent être incorporés dans l’attribution de bonus, en supprimant les bonus d’employés ayant enfreint la loi, ou ceux de personnes ayant supervisé une zone d’activité impliquée dans une inconduite. Symétriquement, des bonus peuvent être créés pour récompenser les employés qui démontrent un engagement exemplaire dans les processus de conformité.
Les entreprises, notamment celles qui opèrent à l’international, ont tout intérêt à s’en inspirer afin de rester en phase avec les exigences du gendarme américain et d’être en mesure, le cas échéant et au-delà de l’intérêt intrinsèque de la démarche, de montrer patte blanche.
Sources :
11 septembre 2023
Inscrivez-vous et accèdez à l’ensemble de l’actualité GRACES.Community.