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Bénéficiaires effectifs : fin de l'accès public au 31 juillet 2024

L'Inpi va débrancher l'accès open source du registre des bénéficiaires effectifs, cette base de données qui permet de connaître les actionnaires physiques des entreprises. Cet accès, public depuis 2021, a été limité par un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. Mais qu'on se rassure, une directive européenne du 31 mai 2024 viendra le rétablir.


Transparence vs. Secret des affaires. Difficile, voire impossible, de les concilier. Les objectifs de transparence et de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, fixés par le droit de l'Union européenne (4e directive « antiblanchiment » n° 2015/849 du 20 mai 2015) et transposés en droit français par une ordonnance du 1er décembre 2016, imposent à certains groupements d'identifier et de déclarer leurs bénéficiaires effectifs. Ce dispositif est entré en vigueur le 1er août 2017.


Le régime de déclaration des bénéficiaires effectifs s'applique, au premier chef, aux entités tenues de s'immatriculer au registre du commerce et des sociétés , ce qui recouvre une vaste catégorie de personnes morales, principalement toutes les sociétés, commerciales ou civiles, dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, ainsi que les groupements d'intérêt économique (GIE). Ce régime vient même d'être étendu, par une loi du 24 avril 2024, aux organismes sans but lucratif, associations, fondations, fonds de dotation et autres fonds de pérennité.


Les bénéficiaires effectifs à déclarer sont exclusivement des personnes physiques. Il s'agit de celles qui détiennent directement ou indirectement plus de 25 % du capital et/ou des droits de vote de l'entité, ou qui exercent par tout autre moyen un pouvoir de contrôle sur les organes d'administration. En présence d'associés personnes morales, ce régime oblige à remonter jusqu'aux personnes physiques remplissant ces critères.


Les informations relatives aux bénéficiaires effectifs font l'objet, dans chaque pays membre de l'Union européenne, d'une déclaration auprès d'un registre dédié, le registre des bénéficiaires effectifs (RBE). En France, ce registre est aujourd'hui intégré dans le registre national des entreprises tenu et diffusé par l'Inpi.


Accès ouvert au grand public


L'article L. 561-46 du Code monétaire et financier dresse la liste des personnes et autorités habilitées à avoir accès au registre, en effectuant une distinction entre ceux pouvant avoir accès à l'intégralité des informations et ceux ayant accès à un nombre limité d'informations. Ainsi, ont notamment accès à l'intégralité des informations figurant au RBE des sociétés ou entités juridiques déclarantes, de même que les autorités compétentes en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, telles que Tracfin ou l'administration des douanes.


Depuis 2021, une ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020, transposant une nouvelle directive européenne (5e directive « antiblanchiment » n° 2018/843 du 30 mai 2018), prévoit que certaines informations relatives aux bénéficiaires effectifs puissent être accessibles au public . Il s'agit de celles portant sur leur nom, nom d'usage, pseudonyme, prénoms, mois, année de naissance, pays de résidence et nationalité, ainsi qu'à la nature et à l'étendue des intérêts effectifs qu'ils détiennent dans la société ou l'entité. C'est déjà beaucoup.


Cette ordonnance a ainsi permis à nombre de médias et ONG, enquêtant notamment sur des affaires d'évasion fiscale et de blanchiment, de pouvoir identifier, en accédant au RBE, des individus qui se cachent derrière des sociétés écrans à des fins illicites. En particulier, c'est principalement en s'appuyant sur les données collectées sur le RBE et auprès du cadastre que Transparency International a pu dresser un inventaire du patrimoine immobilier en France de plusieurs oligarques et proches du régime russe, conduisant la branche française de l'ONG à déposer, en 2022, une plainte au Parquet national financier pour blanchiment.


Remise en cause du libre accès


Mais cette politique de transparence a suscité de fortes oppositions dans certains milieux financiers. A tel point que, saisie par un tribunal luxembourgeois, la Cour de justice de l'Union européenne a, fin 2022, rendu un arrêt qui a invalidé l'accès du grand public aux RBE des pays européens, jugeant que cet accès portait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et à la protection des données personnelles de ces bénéficiaires ( CJUE, gr. ch., 22 nov. 2022 , aff. jtes C-37/20 et C-601/20, WM et Sovim SA c/Luxembourg Business Registers).


Les Etats membres de l'Union européenne ont réagi en ordre dispersé à cet arrêt. Si plusieurs d'entre eux, tels l'Allemagne, ont immédiatement suspendu l'accès au grand public à leur RBE, d'autres ont, à l'inverse, préféré temporiser. C'est notamment le cas de la France, le ministère des Finances ayant indiqué, début 2023, qu'il entendait « maintenir l'accès du grand public aux données du registre des bénéficiaires effectifs dans l'attente de tirer toutes les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice » (Minefi, communiqué n° 520, 16 janv. 2023).


Mais, mis en demeure par la CNIL, Bercy a été contraint non pas de fermer le RBE, mais d'en interdire le libre accès au public. La mesure sera effective dès la fin du mois de juillet 2024, confirme l'Inpi.


Qui peut toujours avoir accès ?


C'est évidemment là un coup dur pour la transparence en matière financière. Mais pas pour autant un complet retour à l'opacité. Concrètement, c'est la réglementation issue de l'ordonnance de 2016 qui va s'appliquer. De ce fait, les entités déclarantes et les autorités publiques continueront à y avoir accès. S'agissant, en revanche, du grand public, il devra justifier d'un « intérêt légitime » pour accéder aux informations des bénéficiaires.


En ce qui concerne spécifiquement les journalistes, les ONG ou encore chercheurs, Bercy a même annoncé leur maintenir un accès complet au RBE, dès lors que leurs activités « sont liées à la prévention ou la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et leurs infractions sous-jacentes », et à condition qu'ils s'enregistrent auprès de l'Inpi en fournissant les justificatifs requis. La promesse ne rassure pas totalement…


Toutefois, cette situation d'incertitude juridique semble temporaire. Un nouvel ensemble de mesures antiblanchiment vient d'être adopté, dont la directive 2024/1640 du 31 mai 2024 ( 6e directive « antiblanchiment » ). Celle-ci prévoit que, à l'échelle européenne, les personnes directement impliquées dans la lutte contre le blanchiment d'argent bénéficieront d'un accès généralisé aux RBE. L'arrêt de la Cour de justice serait ainsi neutralisé. Mais il faudra faire preuve d'un peu de patience car la date limite de transposition de cette directive par les Etats membres de l'Union européenne est fixée au 10 juillet 2027.

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