LCBFT : focus sur l’immobilier, des domiciliataires d’entreprises, et du luxe

Christophe BARDY - GRACES community
13/5/2024
Propulsé par Virginie
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Elle constate une amélioration au fil des enquêtes même si certains opérateurs n’ont toujours pas conscience du rôle qu’ils ont à jouer dans la prévention de ce type de fraude économique.


En raison du conflit actuel en Ukraine et des sanctions adoptées au niveau européen, une attention particulière a également été portée à l’application du dispositif de gel des avoirs.


Dans le but de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), les professionnels assujettis à ces obligations de vigilance doivent notamment vérifier l’identité de leurs clients personnes physiques ou personnes morales en collectant divers éléments d’identification (pièces d’identité, k-bis, statuts…). Ils doivent aussi, en cas de doute sur le caractère délictuel des pratiques de leur client, en amont d’une transaction ou au cours de la relation d’affaires, transmettre une déclaration de soupçon à TRACFIN, le service de renseignement contre les circuits financiers clandestins, placé sous l'autorité du Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique.


Ils ont par ailleurs la responsabilité de participer à la détection de schémas destinés à contourner les mesures de sanctions en matière de gels d’avoirs prononcées par les autorités publiques, au niveau national ou européen.


Pour tout cela, ils doivent se doter de procédures internes qui leur permettent d’identifier les risques, de les classer, et de définir les actions à mener en fonction du risque identifié. En cas de non-respect par ces professionnels de leurs obligations en matière de LCB-FT, la Commission nationale des sanctions (CNS) peut être saisie. Cette commission est une institution indépendante, instituée par la loi auprès du ministre chargé de l'Economie. En fonction de la nature des manquements, la CNS peut prononcer un avertissement, un blâme, une interdiction d’exercice d’une activité et un retrait de la carte professionnelle, des sanctions pécuniaires et la publication des sanctions.


La DGCCRF contrôle régulièrement le respect des obligations en la matière, imposées aux professionnels de l’immobilier, de la domiciliation et du luxe dans l’exercice de leur activité. Elle peut, quand les cas le nécessitent, se substituer aux professionnels pour transmettre une information de soupçon à TRACFIN. Elle rédige par ailleurs, face à des manquements, des rapports d’intervention en vue de la saisine de la CNS. Lors de ses investigations en 2022, la DGCCRF a constaté de nombreux manquements.


La persistance de manquements substantiels dans l’immobilier 


Les professionnels de l’immobilier ont plusieurs obligations en matière de LCB-FT. Ils doivent notamment se doter d’une organisation et de procédures permettant à chacun d’entre eux, en fonction de leurs caractéristiques propres, de détecter les opérations à risque, d’exercer une vigilance sur les clients et les bénéficiaires effectifs des transactions et de déclarer, le cas échéant, les transactions suspectes à TRACFIN.


L’enquête de la DGCCRF dans ce secteur est reconduite chaque année depuis 2020. 296 professionnels de l’immobilier ont été contrôlés en 2022 et les investigations comportaient trois volets :


  • Un premier volet consistant à vérifier préalablement le respect des conditions d’exercice des professions immobilières, notamment la détention de la carte professionnelle.
  • Un deuxième volet sur les procédures internes mises en place par les professionnels afin de respecter leurs obligations de vigilance et de déclaration. Plusieurs « dossiers-clients » se rapportant à des transactions réalisées ont été examinés pour s’assurer que les procédures internes étaient bien respectées. 
  • Un dernier volet consacré à l’examen de l’existence éventuelle de pratiques de contournement des sanctions liées à l’application du dispositif de gels des avoirs, principalement auprès des professionnels spécialisés dans l’immobilier de luxe ou l’immobilier d’affaires, et tout particulièrement dans le cadre d’une opération conduite par le service national des enquêtes (SNE) dans les Alpes-Maritimes.


L’enquête menée en 2022 a mis en évidence un taux d’anomalies de plus de 60 %, équivalent à celui constaté en 2021. Pour autant, les manquements pointés sont, en moyenne, moins graves que lors des précédents contrôles même si aucun des professionnels contrôlés ne respectaient la totalité des exigences en matière de LCB-FT - certaines agences immobilières ignorant même tout de leurs obligations en la matière. Il a été constaté qu’un nombre significatif de professionnels de l’immobilier était désormais en mesure de présenter un système d’évaluation et de gestion de risques.


Comme les années précédentes, la plupart des lacunes affichées par les professionnels contrôlés renvoient davantage à la méconnaissance de leurs obligations de vigilance qu’à la volonté de s’en affranchir.


Parmi les principaux manquements constatés on trouve essentiellement :

  • une absence fréquente de dispositif d’évaluation et de gestion des risques ;
  • des procédures internes à caractère trop général, incomplètes ou mal appliquées (documents partiellement remplis, dossiers de vente incomplets, etc.) et l’absence de protocole interne écrit dans quasiment toutes les agences immobilières en anomalie ;
  • l’absence d’identification du client ou du bénéficiaire effectif (non conservation des documents et méconnaissance largement constatée du registre des bénéficiaires effectifs) ;
  • le défaut d’information sur la provenance des fonds, formalisée par un questionnaire écrit (notamment en cas de paiement en partie au comptant) et sur la situation professionnelle et financière des clients ;
  • le défaut de formation des professionnels contrôlés à la LCB-FT.


En ce qui concerne le gel des avoirs, ce dispositif ainsi que les obligations en résultant (consultation du registre des biens gelés et du registre national des gels des avoirs, rédaction d’une procédure interne et le cas échéant, déclaration auprès de la Direction générale du Trésor (DGT)) demeurent très largement ignorés des professionnels de l’immobilier.


Ce constat a été effectué sur l’ensemble du territoire national. La DGCCRF a en particulier mené une action coup de poing dans les Alpes-Maritimes auprès de 16 agences a montré que plus de la moitié d’entre-elles n’avait mis en place aucune mesure de vérification relative au gel des avoirs, alors même que leur cœur d’activité se trouvait particulièrement concerné par ce type de vérifications. Ces contrôles ont fait l’objet de suites appropriées, dont des injonctions de remise en conformité et la rédaction de rapports d’intervention en vue d’une saisine de la Commission nationale des sanctions (CNS). Par ailleurs, à l’issue de cette action, la DGCCRF a adressé 5 informations de soupçon à TRACFIN en lieu et place des professionnels concernés et effectué 3 signalements à la DGT concernant des manquements relatifs au suivi du gel des avoirs russes.


La transmission d’informations à d’autres services (TRACFIN, la DGT ou encore la DNEF : la direction nationale des enquêtes fiscales) est désormais un point fondamental de l’action de la DGCCRF en matière LCB-FT. L’étude approfondie des dossiers de transactions, abondée des éléments complémentaires recherchés par la Cellule de Renseignement Anti Fraudes Economiques de la DGCCRF, ont ainsi permis la communication de renseignements dont la qualité a été saluée par les services précités.


Des améliorations sont néanmoins constatées dans la mise en œuvre des obligations générales de LCB-FT :

  • des procédures écrites ont été mises en place par la plupart des professionnels de l’immobilier, même si leur mise en œuvre au quotidien peut demeurer lacunaire ;
  • une partie des professionnels a mis en place un dispositif d’évaluation et de gestion des risques au moyen de logiciels dédiés et l’utilisation de ces logiciels a donné des résultats particulièrement satisfaisants ;
  • en matière de procédure de déclaration de soupçon à TRACFIN, la plupart des agences immobilières appartenant à des enseignes importantes et affiliés à des syndicats professionnels, disposent, par leur intermédiaire, d’informations et de documents relatifs aux obligations liées à cette réglementation.


D’une manière générale, il ressort des contrôles que les grandes structures, mieux informées et bénéficiant de moyens plus importants, prennent mieux en compte leurs obligations. En outre, lorsque les professionnels de l’immobilier sont affiliés à un syndicat professionnel, ils ont accès à des formations de sensibilisation aux devoirs qui leurs incombent dans ce domaine et à une documentation dédiée.


A l’issue de cette enquête dans le secteur, les anomalies relevées lors de ces investigations ont conduit les services d’enquête à rédiger 104 lettres d’information, valant avertissements, aux professionnels pour des manquements mineurs, 46 injonctions de remise en conformité des pratiques et 2 procès-verbaux pénaux pour non détention de la carte professionnelle. En outre, 28 rapports d’intervention (contre 41 en 2021) ont été établis pour des manquements graves en vue d’une saisine de la CNS. Deux opérateurs contrôlés ont réalisé une déclaration de soupçon auprès de TRACFIN.


Le taux d’établissements en anomalie demeure encore élevé. Outre les professionnels qui ne sont pas au fait de leurs obligations ou font preuve de négligences importantes, une partie des établissements n’exploitent pas suffisamment les outils mis à leur disposition et ne les adaptent pas à leurs besoins.


Les professionnels de l’immobilier, et en particulier les petites agences immobilières indépendantes, disposent d’une marge de progression encore importante et doivent notamment porter leur effort sur la formalisation d’un système d’évaluation des risques, le recueil d’informations sur l’identité des clients et sur l’origine des fonds, les déclarations de soupçon à TRACFIN et la formation du personnel.


Encore trop d’insuffisances chez les domiciliataires d’entreprises


En 2022, la DGCCRF a ciblé 50 professionnels de la domiciliation d’entreprises.

Comme leur nom l’indique, les domiciliataires d’entreprises fournissent une domiciliation à des entreprises qui ne possèdent pas de locaux, ce qui leur permet de déclarer une adresse ou un siège social auprès des différentes administrations, de leurs clients… 


Un domiciliataire doit, lorsqu’il accueille un client, constituer un dossier comportant un certain nombre de pièces comme des documents d’identité des dirigeants de la société ainsi que le K-bis, les statuts et, le lieu de détention des documents comptables de l’entreprise… La vérification de ces points permet de s’assurer que le domiciliataire a une bonne connaissance de sa relation d’affaires.


A l’issue de cette enquête, plus de 6 établissements sur 10 présentaient au moins une anomalie. Ce taux est en hausse par rapport à la précédente campagne de contrôles de 2021 lors de laquelle il était de plus de 5 sur 10.


Les principaux manquements constatés témoignent d’un manque de rigueur de la part des opérateurs dans la gestion des pièces de leurs dossiers : la collecte n’est pas toujours exhaustive, les attestations de domicile et documents comptables manquent souvent. Le suivi de la validité de ces justificatifs n’est par ailleurs pas toujours correctement effectué. Les domiciliataires ignorent souvent les constats de défauts d’informations ou les situations opaques dans l’activité des entreprises domiciliées qui devraient les conduire à faire une déclaration de soupçon auprès de TRACFIN. En l’occurrence une seule déclaration de ce type avait été réalisée par l’un des opérateurs contrôlés. 


Les anomalies décelées ont conduit les services d’enquête à rédiger 10 avertissements, 19 injonctions (portant principalement sur l’existence d’une information incomplète dans les dossiers de leur clientèle), 1 procès-verbal pénal (PVP) pour défaut d’agrément préfectoral mais aussi 12 rapports d’intervention en vue d’une saisine de la Commission nationale des sanctions (CNS).


Comme lors des précédents contrôles, les lacunes affichées par la plupart des opérateurs proviennent d’une méconnaissance de leurs obligations de vigilance plutôt que de la volonté de s’affranchir de celles-ci. Une évolution positive a été notée car comparativement aux années précédentes, les domiciliataires d’entreprises sont plus nombreux à être en mesure de présenter un système d’évaluation et de gestion des risques portant sur la prévention de pratiques de blanchiment de capitaux d’origine frauduleuse.


Ici encore, il a été observé que les sociétés adhérentes à l’unique organisation syndicale représentative de la profession étaient mieux informées de leurs obligations en matière de LCB-FT et que la plupart des autres acteurs restent confrontés à des difficultés notables pour établir et mettre en place une classification des risques de leurs clients et pour déterminer les mesures de vigilance adaptées. La formation apparaît dès lors comme un important champ d’amélioration possible afin que le secteur de la domiciliation d’entreprise s’approprie le dispositif LCB-FT.


Les professionnels du luxe loin de l’excellence


Comme les domiciliataires d’entreprises et les professionnels de l’immobilier, les professionnels du luxe occupent en pratique un terrain particulièrement sensible en matière de LCB-FT. Cette enquête, menée d’octobre 2022 à juin 2023 était la troisième dans ce secteur et elle ciblait pour la première fois la maroquinerie, tout en renouvelant les contrôles auprès des opérateurs du secteur horlogerie, bijouterie, joaillerie et orfèvrerie (HBJO).


Les précédents contrôles avaient mis en évidence une forte méconnaissance de leurs obligations par ces professionnels. La présente enquête avait pour but de vérifier la mise en conformité des professionnels contrôlés précédemment et le contrôle des revendeurs de produits HBJO d’occasion.

Au total, 25 opérateurs ont été contrôlés, dont 40 % en Ile-de-France. La majorité d’entre eux (18) étaient des commerces de détail d’articles d’horlogerie et de bijouterie ; les 7 opérateurs restants étaient des professionnels de la maroquinerie de luxe.


Lors des contrôles, les enquêteurs ont constaté la mise en conformité partielle des opérateurs déjà contrôlés, notamment en ce qui concerne l’identification des bénéficiaires effectifs, les mesures de vigilance complémentaire et les déclarations de soupçon. Ces efforts demeurent toutefois insuffisants. Les fabricants, distributeurs et importateurs de bijoux et de montres de luxe méconnaissent encore largement l’ensemble de leurs obligations et il en va de même pour les professionnels de la maroquinerie de luxe.


La mobilisation des fédérations professionnelles doit être poursuivie en vue d’inciter les professionnels à former leurs personnels, à consulter le registre des bénéficiaires effectifs et le registre national des mesures de gel des avoirs, mais aussi pour contribuer à vulgariser les notions relevant de la LCB-FT et faire comprendre le sens et l’utilité des déclarations de soupçon.


A l’issue de l’enquête, 10 établissements contrôlés présentaient des anomalies. Celles-ci ont donné lieu à 3 avertissements, 5 injonctions de mise en conformité et à 2 saisines de la commission nationale des sanctions (CNS). Par ailleurs, les 8 procédures d’injonction lancées dans le cadre de la précédente enquête ont fait l’objet d’un suivi : le résultat se traduit par une mise en conformité, à l’exception d’un opérateur du secteur horlogerie, bijouterie, joaillerie et orfèvrerie, pour lequel la CNS a été saisie.


Le bilan de l’ensemble des investigations menées en 2022 justifie la reconduction des contrôles. De vraies évolutions sont à opérer. Les professionnels doivent prendre pleinement conscience du rôle qu’ils ont à jouer dans le dispositif LCB-FT. Ils ne sont pour autant pas toujours convaincus de la pertinence de ces réglementations considérées comme lourdes et contraignantes.


Les structures de taille modeste et dépourvues de ressources humaines et financières suffisantes ne sont pas toujours capables d’exercer une veille juridique ni une vigilance constante en matière de LCB-FT. Pour ces structures mais aussi pour toutes les autres, un effort particulier mérite d’être fourni en matière de formation des collaborateurs pour une meilleure connaissance et un respect accru des procédures. La sensibilisation des professionnels reste au cœur des priorités de la DGCCRF.


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