Extraterritorialité, espionnage, cyberattaques, normes ESG, ONG... La filière défense est sous la pression de nombreuses attaques médiatiques mais aussi très secrètes. Et qui le restent souvent. Dans une interview accordée à La Tribune, le patron de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), le général Eric Bucquet, rappelle que la France est dans une guerre économique permanente menée par des services de renseignement étrangers très offensifs et capables de recourir à tous les moyens.
La Tribune : Extraterritorialité, RSE, ONG... Les agressions contre la BITD française sont de plus en plus nombreuses ces dernières années. La DRSD est un service de renseignement au centre de toutes ces problématiques. Sur l'extraterritorialité, quelle réponse peut-on imaginer face à ces lois, qui sont véritablement des ingérences dans la souveraineté de la France et de l'Europe ?
Général Eric Bucquet : Concernant les problématiques que vous évoquez, nous ne pouvons que constater qu'il n'existe pas encore de véritable réponse globale et univoque à l'échelle de l'Union européenne, même si certaines avancées ont été récemment réalisées. Or, c'est bien à cette échelle qu'une réponse est nécessaire pour faire face efficacement à des lois extraterritoriales, c'est-à-dire à l'imposition, par un État, de son droit national au-delà de ses frontières. Ces lois sont souvent utilisées comme de véritables armes de guerre économique. La BITD française en a déjà fait les frais à plusieurs reprises. En outre, ces arsenaux normatifs sont en évolution permanente, dans un nombre sans cesse croissant de pays, bien au-delà des Etats-Unis. Il devient difficile d'évaluer, dans leur globalité, les impacts réels de tous les nouveaux textes. De manière générale, il faut bien admettre que, trop souvent encore, nous agissons en réaction dans ce domaine.
Y a-t-il eu à votre connaissance des fuites de documents non souhaitées dans l'affaire Airbus ?
A notre connaissance, il n'y a pas eu de fuite de document.
Comment contrôlez-vous les possibles ingérences du moniteur anglo-saxon, qui sera présent pendant trois ans au sein d'Airbus ?
Nous veillons, avec nos partenaires, à ce que ce processus ne donne pas lieu à des fuites d'informations sensibles qui pourraient procurer des avantages commerciaux indus à des concurrents d'Airbus, par exemple.
Mais demain, êtes-vous sûr de pouvoir encore contrôler les informations données ?
Sûr, non. Nous vivons tous, et sans doute même plus qu'avant, dans l'incertitude. Notre mission, c'est de veiller à la réduire et d'anticiper les risques.
Les entreprises françaises pourront-elles se protéger ?
L'idée-maîtresse est que tout audit, fût-il conduit par un cabinet anglo-saxon, doit reposer sur un cadre précis et que ce dernier doit être respecté par tous les acteurs qui y participent.
Mais les Européens ne semblent pas avoir vraiment pas la volonté de riposter. Pourquoi les Etats-Unis se priveraient-ils d'une telle arme ?
Comme je l'ai déjà affirmé précédemment, il me semble, en effet, indispensable d'obtenir un consensus européen concernant les réponses à apporter aux risques induits par les dispositions à caractère extraterritorial, sans cesse plus nombreuses, qu'elles soient américaines ou autres. A ce titre, il est intéressant de rappeler que la Chine a récemment mis en place, en décembre 2020, une réglementation en matière de contrôle des exportations comparable aux normes ITAR américaines et que celle-ci s'accompagne elle-même d'un dispositif de blocage des mécanismes extraterritoriaux étrangers.
Ce qui n'est pas le cas de la France et de l'Europe...
C'était sans doute le cas dans un passé encore récent. Mais certains dossiers emblématiques, comme Alstom/General Electric ou, plus récemment, Airbus ont, à mon sens, favorisé une réelle prise de conscience. Toutefois, il est vrai que les entreprises européennes, et notamment françaises, lorsqu'elles font l'objet de poursuites;
p/o Virginie Gastine Menou
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