Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les hautes personnalités, Mes chers collègues du siège et des trois parquets, Mesdames et Messieurs, L'audience solennelle de rentrée constitue, chaque année, un moment privilégié pour notre juridiction. Sa tenue obéit, certes, aux prescriptions du Code de l'organisation judiciaire qui demandent à la juridiction de rendre compte de son activité de l'année écoulée devant les représentants de la société, au nom de laquelle la justice est rendue, jour après jour. Mais elle est, aussi, l’occasion de vous retrouver nombreux et votre présence aujourd'hui manifeste à l’évidence la considération et l’intérêt que vous portez à la justice et à sa place dans la capitale. Soyez en, à cet instant, chacune et chacun, sincèrement remerciés. Si la loi a assigné la date de l'audience solennelle au mois de janvier, ce n'est évidemment pas un hasard. Déjà sous la Rome antique, les consuls, souvent appelés aussi « magistrats », étaient élus en début d’année et leur entrée en fonction intervenait aux « calendes », les calendae désignant le premier jour d’un mois. Ce jour officiel était alors dénommé dies solennis, jour de solennité, dont notre rite judiciaire républicain n’a pas manqué de s’inspirer pour fonder « l’audience solennelle » que nous tenons aujourd’hui avec vous. Les « calendes » du mois de janvier marquent un passage, une transition, entre une année qui s'achève, particulièrement lourde en 2020, et une année nouvelle, chargée de projets et riche d’espoirs. Cet instant du passage me conduit donc à tracer devant vous, rapidement, un bilan et des perspectives pour le parquet national financier. Le bilan de l'année 2020 Ombre et lumière, à l'image de l'année civile qui vient de s'achever : le bilan de l'activité du PNF m'autorise à ne retenir et à ne commenter ici que quelques données saillantes, un aperçu plus complet étant soumis à votre réflexion dans le fascicule que vous venez de trouver à votre place. Trois séries de chiffres-clés illustreront ici mon propos : 1- Au cours de l’année écoulée, le PNF a enregistré 133 affaires nouvelles (au 31.12.20), soit une légère diminution par rapport à 2019 (167 procédures nouvelles), due pour l’essentiel au ralentissement général de l’activité lié à la crise sanitaire. En parallèle, 98 affaires ont été terminées. Les affaires nouvelles ont toutes donné lieu, selon l’usage interne, à une analyse préalable qui a conduit à l’ouverture effective d’enquêtes nouvelles. Au total, notre activité porte, à ce jour, sur 602 procédures en cours, réparties entre 84% d’enquêtes préliminaires (conduites directement par le PNF) et 16% d’informations judiciaires (confiées à des magistrats instructeurs). 2- Le portefeuille de nos affaires se répartit comme suit dans le champ de compétence pénale du PNF : 53% des dossiers concernent des atteintes à la probité (corruption, corruption d’agents publics étrangers, concussion, trafic d’influence, favoritisme, prise illégale d’intérêt, détournements de biens publics...) => tendance à la hausse (50% en 2019) ; 40% des dossiers relèvent des atteintes aux finances publiques (fraude fiscale aggravée, escroquerie à la TVA, blanchiment...) => tendance à la baisse (43% en 2019) ; 7% des dossiers recouvrent les atteintes aux marchés financiers (« délits boursiers » : délit d’initié, manipulation de cours et dissémination de fausses informations) => tendance stable. S’agissant des résultats financiers imputables à l’action du PNF, l’année 2020 aura également été atypique et n’aura pas permis de s’inscrire dans la dynamique tracée en 2019. Pour autant, si l’on cumule les amendes, confiscations et dommages-intérêts pour l’Etat, tous montants auxquels le PNF a contribué, ce ne sont quand même pas moins de 2,2 milliards d’euros qui auront été dirigés vers les caisses du Trésor public au cours de l’année écoulée (5,7 milliards en 2019, une année record). Pour mémoire, en 2018, le même résultat n’avait atteint « que » la somme de 829 millions d’euros. En données cumulées, ce sont aujourd’hui 9,9 milliards d’euros depuis la mise en route du PNF en 2014. L’année 2020 a consacré le rôle désormais majeur du parquet national financier dans la lutte contre les atteintes à la probité, en particulier celles liées à la corruption d’agents publics étrangers. Ainsi, en début d’année, j’ai signé avec la société AIRBUS une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) que vous avez validée, Monsieur le Président, le 31 janvier dernier. Cette CJIP est significative à un double titre. Non seulement elle comporte une amende record en France pour une telle convention (2,08 milliards d’euros), mais elle a surtout hissé notre pays au niveau des autorités judiciaires de premier rang en la matière, aux côtés des USA et du Royaume-Uni, dans la mesure où il était revenu au PNF de coordonner, dans cette affaire emblématique, la CJIP française avec les deux Deferred Prosecution Agreements (DPA, équivalents anglo-saxons de la CJIP). Le montant total de l’amende infligée à AIRBUS par les trois autorités judiciaires a atteint la somme de 3,6 milliards d’euros. Note réjouissante pour notre parquet : le travail considérable déployé dans cette affaire a valu au PNF, en octobre dernier, une double récompense internationale, attribuée par Global Investigations Review, un organisme anglo-saxon d’analyse et de suivi des législations et enquêtes dédiées à la lutte anticorruption Le premier de ces deux « awards » distingue le PNF comme « Parquet de l’année » et le second honore le traitement de ce dossier au titre de la « Réussite procédurale majeure de l’année ». Fort de son expérience et de son dynamisme en ce domaine, le PNF s’est vu désigner, par la circulaire du Garde des Sceaux du 2 juin 2020, chef de file national dans la poursuite des faits de corruption d’agents publics étrangers. Des résultats significatifs ont d’ailleurs été obtenus en la matière tout au long de l’année devant le Tribunal correctionnel de Paris, notamment dans le domaine sportif, avec, par exemple, la condamnation en septembre dernier de plusieurs responsables de la Fédération internationale d’athlétisme (condamnations non définitives). Au plan interne, l’équipe du PNF a connu en 2020 un renouvellement significatif avec l’arrivée de 7 nouveaux magistrats et de 2 assistants spécialisés. A cet instant, et au regard des résultats substantiels engrangés, je souhaite rendre un hommage appuyé à l’action des 16 magistrats du PNF, mais aussi au travail décisif, à leurs côtés, des 8 assistants spécialisés et juriste assistant, sans oublier les 15 fonctionnaires du greffe placés sous l’autorité bienveillante de leur directrice et du directeur du greffe des parquets de Paris. Cet hommage, je l’étends de la même manière aux juges d’instruction du pôle économique et financier, aux juges des libertés et de la détention et aux magistrats de la 32ème chambre correctionnelle qui œuvrent avec nous, jour après jour, pour que justice soit rendue dans des dossiers par définition sensibles, techniquement très complexes et juridiquement ardus. Ma gratitude va, enfin, aux services d’enquête spécialisés, de la police nationale comme de la gendarmerie, au même titre qu’aux agents du Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) et aux fonctionnaires placés sous l’autorité du directeur général des finances publiques. \\ Mesdames et Messieurs, la forte dynamique de la lutte contre la délinquance économique et financière d’envergure a amené, aussi, le PNF à être projeté sous des feux médiatiques peu propices à la sérénité de son action et qui ont conduit au déclenchement de deux enquêtes diligentées par l’Inspection générale de la justice. Si l’une, à caractère pré-disciplinaire, est toujours en cours, la seconde a donné lieu à un rapport définitif, rendu public le 15 septembre, qui blanchit le PNF de tout reproche d’illégalité dans la conduite de l’une de ses enquêtes préliminaires. Mais ces turbulences allaient s’avérer n’être que les prémisses d’une autre épreuve pour le PNF, celle vécue au cours du procès correctionnel majeur qui s’est achevé le 10 décembre dernier. J’ai été peiné, même choqué, par les attitudes inappropriées et les attaques personnelles qui ont visé, sans relâche, les représentants du parquet national financier tout au long de ce procès où seul le débat juridique aurait dû avoir sa place. Je ne peux que regretter ce constat, tant le ministère public avait pris le parti de ne blesser personne, ni parmi les prévenus, ni dans les rangs des auxiliaires de justice indispensables que sont les avocats. Mais je sais aussi, Mesdames et Messieurs, que ces excès sont tout sauf représentatifs des vraies relations que le PNF entretient, au jour le jour, avec les membres du barreau. Ces derniers soulignent si souvent la qualité de l'accueil qui leur est réservé au sein de notre parquet, la loyauté avec laquelle sont menées les négociations à l'occasion des procédures transactionnelles, ainsi que la qualité du débat juridique - ce qui n'empêche pas chacun de défendre pleinement son point de vue et permet, bien au contraire, de mieux le prendre en compte dans le cadre du contradictoire. \\ Mesdames et Messieurs, si, en ce début d’année, les ombres de 2020 ne se sont pas encore toutes dissipées, laissons-nous porter par cette pensée consolatrice, attribuée à PLINE le Jeune : « La prospérité montre les heureux, l'adversité révèle les grands ». \\ Quelques perspectives pour 2021, à présent. Des perspectives pour 2021 Avec bientôt 7 années d'activité, le parquet national financier est aujourd’hui confronté à de nouveaux défis. Parmi ceux déjà identifiés l’an dernier, je crois devoir mettre en exergue, en guise de feuille de route pour 2021, les points de réflexion suivants : Il y a moins d’un mois, le Parlement a confié au PNF un nouveau domaine d’attribution en étendant, par l’article 13 de la loi du 24 décembre 2020, son champ de compétence matérielle aux infractions anti-concurrentielles (délits d'entente illicite et d'abus de position dominante). Cette perspective est d’autant plus réjouissante pour notre parquet qu’il s’agit d'un contentieux généralement peu investi par l'autorité judiciaire en raison de sa complexité technique et juridique et de son environnement, mais aussi des difficultés à rapporter les éléments probatoires indispensables à l’exercice des poursuites. A l'instar de la corruption d'agents publics étrangers, la répression judiciaire des pratiques anti-concurrentielles, notamment lorsqu'elles sont internationales, doit participer plus amplement à la régulation d'une économie mondialisée, dans laquelle de multiples secteurs d'activité sont contrôlés par un petit nombre de sociétés qui recherchent, par des ententes verticales ou horizontales, à la fois une diminution du risque économique et des résultats pérennes. Ces pratiques lèsent aussi bien les consommateurs que les autorités publiques lorsque l'entente fausse les règles de passation et d'obtention des marchés publics à la faveur de soumissions concertées. Enfin, 2021 sera, aussi, l’année de mise en route opérationnelle du Parquet européen. Pour la première fois dans l’histoire institutionnelle, et dans l’histoire du droit tout court, l’exercice de l’action publique n’émanera plus seulement de l’exclusive souveraineté des Etats membres de l’Union, mais pourra résulter d’instructions et d’enquêtes pilotées à l’échelle européenne, depuis Luxembourg, siège des procureurs européens et de leur parquet. Sans attendre son démarrage effectif, j’avais reçu en janvier dernier la première cheffe du Parquet européen, Mme Laura CODRUȚA KÖVESI, nommée en novembre 2019. Nos premiers échanges laissent d’ores et déjà augurer d’une collaboration étroite et confiante. Appelé à fonctionner sur un mode fortement collégial, l’activité du Parquet européen sera animée et dirigée depuis son siège luxembourgeois par le collège des 22 procureurs européens, représentant chacun des 22 Etats membres fondateurs (sur 27 EM de l’UE). La France sera représentée au sein de ce collège par notre collègue Frédéric BAAB. Quant à l’ancrage national du Parquet européen, il résultera de la nomination prochaine de 5 procureurs européens délégués, rattachés au plan juridictionnel au Tribunal judiciaire de Paris, d’où ils agiront au nom et pour le compte de ce nouveau ministère public, indépendant et à échelle supranationale. Fortement novateurs, le statut et les pouvoirs des procureurs européens délégués nommés par la France viennent d’être définis par la loi du 24 décembre 2020 déjà citée, qui leur confère les attributions classiques de magistrats du parquet, à la fois de première instance et d’appel, mais aussi –et c’est toute la novation du droit- des attributions de juges d’instruction. Nous voici donc bien à l’aube de la justice pénale européenne ardemment promue, depuis un quart de siècle, par le Pr. Mireille DELMAS-MARTY. \\ Mesdames et Messieurs, En 1797, dans son « Essai sur les révolutions », François-René de CHATEAUBRIAND constatait déjà que « nous supportons l’adversité, non pas d’après tel ou tel principe, mais selon notre éducation, nos goûts, notre caractère et, surtout, notre génie ». En ce début d’année 2021, gardons la foi dans ce génie salvateur typiquement français et rappelons-nous toujours...que « l'adversité révèle les grands » ! Mesdames et Messieurs, Au nom de mes collègues du parquet national financier et en mon nom personnel, je vous présente nos vœux très chaleureux pour une année 2021 chargée d'espérance, généreuse en bonne santé et en satisfactions personnelles, et riche en réussites professionnelles. \* \* Monsieur le Président, Au nom des trois parquets, j’ai l’honneur de requérir qu’il plaise au Tribunal : \- déclarer close l’année judiciaire 2020 et ouverte l’année judiciaire 2021, \- et dire qu'il a été satisfait aux prescriptions du code de l’organisation judiciaire. p/o Virginie Gastine Menou RISQUES ET VOUS Proposer une offre de job : Consulter les offres qui vous correspondent :
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