Depuis une loi adoptée en 2017 en France, après le drame du Rana Plaza, les multinationales qui brassent des milliards d’euros doivent être responsables de leurs actes et respecter un devoir de vigilance. Les grandes entreprises françaises sont responsables des activités de leurs sous-traitants ou de leurs filiales. Trois volets sont mis en avant : la protection des droits humains, de l’environnement et la lutte contre la corruption. Une directive européenne, qui doit entrer en vigueur en 2024, prévoit d'harmoniser et renforcer la réglementation. Le cabinet De Gaulle Fleurance et l'école de commerce HEC Paris viennent d'organiser la 4e édition de l’Observatoire des transitions sociétales. Ils s'intéressent, notamment, au renforcement du devoir de vigilance. Pierrick Le Goff, avocat associé au Cabinet De Gaulle Fleurance & Associés est l'invité éco de franceinfo, jeudi 9 novembre.
franceinfo : Rappelez-nous en quelques mots, ce qu'est le devoir de vigilance et la directive CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) ?
Pierrick Le Goff : On parle d'une loi qui impose aux multinationales françaises des obligations de prévention : prévention des risques d'atteinte à l'environnement, prévention des risques de violation des droits humains et prévention des risques d'atteinte à la sécurité des personnes. Ça veut dire que dans votre chaîne de sous-traitants, et notamment les sous-traitants avec lesquels vous avez des relations commerciales établies, il s'agit de s'assurer que ces sous-traitants ne vont pas faire travailler des personnes dans des bâtiments insalubres qui pourraient être à risque de s'effondrer.
Comment ça se traduit, concrètement, devant les tribunaux ?
Ce sont des actions qui sont des mises en demeure de l'entreprise, donc peut-être un 'warning' d'agir sur son plan de vigilance. Et puis, dans les cas où les ONG - ce sont surtout des ONG qui attaquent les multinationales - ne sont pas satisfaites des efforts de rectification demandés, ça bascule dans une assignation pure et dure en justice.
Cette loi existe depuis 2017, est-ce qu'on a de plus en plus d'actions en justice ou au contraire, ça a tendance à s'amoindrir ?
Initialement, nous étions sur une phase croissante des actions, c’est-à-dire que de plus en plus d'entreprises se faisaient attaquer sur les fondements de cette loi. Alors c'est vrai que les fondements principaux qui ont été avancés, c'était soit les atteintes à l'environnement, soit les atteintes aux droits humains. Cela étant, l'année 2023 est une année forte en termes d'enseignement puisqu’on constate que les décisions qui sont tombées cette année ont toutes été des décisions de rejet des actions des ONG. Et en parallèle, on constate que sur les nouvelles affaires, on est sur une baisse forte des nouvelles demandes, à peu près trois affaires cette année qui ont été recensées par rapport à des montants d'affaires beaucoup plus importants les années passées.
Finalement, si ça n'aboutit jamais, on peut comprendre que les associations se découragent ?
Oui, c'est vrai que les rejets successifs n'encouragent pas nécessairement de nouvelles actions. En tout cas, pas sur la base du devoir de vigilance. Maintenant, il peut y avoir d'autres explications puisque la directive communautaire sur le devoir de vigilance est en phase d'approche. Donc ça peut être aussi une position attentiste des ONG. En attendant de voir le nouveau cadre qui va s'installer au niveau communautaire.
Une directive européenne va entrer en vigueur l'année prochaine, la portée de cette loi va être beaucoup plus grande. Ce ne sera plus seulement en France, mais dans toute l'Europe ?
C’est-à-dire que l'objectif principal de l'action communautaire, c'est l'harmonisation, puisque les Allemands ont adopté leurs propres lois. Il y a des lois en Scandinavie qui ont été adoptées. Donc on est sur des différentiels nationaux. Et c'est vrai que la directive va être beaucoup plus contraignante sur les entreprises, avec des seuils beaucoup plus bas d'application et puis surtout des sanctions financières. Les sanctions financières pourront aller jusqu'à 5% du chiffre d'affaires des entreprises concernées. Donc on est sur des sanctions assez importantes. Et puis, une grande différence avec la loi française, c'est que la directive prévoit la mise en place d'instances de contrôle des entreprises qui n'existent pas actuellement, puisque finalement les autorités de contrôle actuelles, ce sont les ONG qui surveillent les entreprises et qui lancent des actions.
Est-ce que vous pensez que ça obligera les entreprises à être plus respectueuses des normes environnementales et sociales qu'elles affichent sur le papier ?
Je pense qu'on va être sur la phase de ce qu'on peut appeler une phase d'amélioration continue de ces sujets et de leur prise en compte par les entreprises. Et puis surtout, le fait d'harmoniser au niveau européen, je pense que ça permettra que tout le monde soit à la même enseigne et à la même échelle en termes de déploiement des mesures de prévention.
L'Europe, pionnière en la matière, est-ce que c'est une bonne chose ou est-ce qu'il y a un risque que les entreprises aillent ailleurs ?
Je pense que le risque de délocalisation n'est pas nécessairement très sérieux. Il a déjà été évoqué à l'époque de la loi du devoir de vigilance. Je ne pense pas qu'on ait eu une hémorragie des entreprises à l'étranger. Ensuite, si on veut voir un risque, c'est peut-être le risque de la lourdeur des procédures, puisqu'il faut des ressources financières et humaines pour mettre en place ces obligations. Ensuite, si on raisonne de manière plus positive, je pense que ça permettra aux entreprises européennes d'être fers de lance dans leur activité, c’est-à-dire d'être vraiment perçues comme des entreprises vertes, permettant certainement d'attirer plus de capitaux vers les entreprises européennes.
Isabelle Raymond
Production
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