À l’occasion de ses dix ans, la Cour de Cassation organisait un colloque le 15 mars dernier, en partenariat avec Tracfin et l’Ecole Nationale de la Magistrature. Cet anniversaire a également permis à cette disposition de faire l’objet de publications dédiées, notamment dans Le Monde et via Transparency France.
À la suite de ce colloque et de l’anniversaire de cette notion juridique, nous vous en proposons une brève présentation et un exposé des principaux enjeux.
La présomption de blanchiment est adoptée à la suite de l’affaire Cahuzac au sein d’une série de mesures prises pour mieux lutter contre les mécanismes de fraudes financières.
Elle est définie dans le code pénal à l’article 324-1-1 de la manière suivante :
Les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus.
Pour faire simple, la présomption de blanchiment permet aux autorités judiciaires françaises de considérer qu’une somme d’argent détenue ou utilisée de manière occulte est d’origine illicite. Cette disposition repose donc sur une logique d’inversion de la charge de la preuve : c’est à la personne qui prend des mesures de camouflage de démontrer que l’argent a été obtenu de manière légitime.
Prenons un exemple concret : si une personne recours à des prête-noms et des sociétés offshore pour déplacer des capitaux, il doit aujourd’hui être en mesure de justifier l’origine licite des fonds. Auparavant, les magistrats devaient démontrer que ces flux étaient liés à une opération criminelle, telle que de la fraude fiscale. Cela pouvait être particulièrement long et complexe.
La présomption de blanchiment est applicable pour tout type d’actif, tels que des flux financiers, du cash, des titres, des biens immobiliers, etc.
Depuis son adoption, la disposition est plutôt saluée par les magistrats qui soulignent son intérêt judiciaire et sa capacité à faire avancer des enquêtes. Elle est aussi fortement défendue par les associations de lutte contre la corruption. Elle est enfin encouragée par Tracfin depuis peu, en collaboration avec les parquets d’Île-de-France.
La présomption de blanchiment, aussi utile soit-elle, soulève quelques questions légitimes sur son utilisation. Certains y voient une atteinte au droit de la défense, une trop grande latitude laissée aux pouvoirs judiciaires et un risque de réputation pour les personnes concernées, quand bien même la démarche n’aboutirait pas.
La disposition pourrait par ailleurs nuire à des enquêtes de long cours, favorisant une confiscation rapide et une condamnation sur la base d’un délit au périmètre limité, plutôt qu’une enquête au long cours permettant peut-être, à terme, de décortiquer des schémas criminels de grande ampleur.
Après une utilisation plutôt timide dans ses premières années, la présomption de blanchiment a été largement adoptée par les magistrats financiers. Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, elle a même trouvé un nouveau souffle : plusieurs enquêtes ont été lancées sur la base de cette disposition à l’encontre de propriétés détenues pas des oligarques russes, en parallèle des mesures de sanctions adoptées au niveau européen. Et en l’espèce, la présomption de blanchiment apparaît comme un outil très pertinent pour lutter contre les schémas opaques de détention de biens immobiliers, pour lesquels le manque de transparence a été maintes fois dénoncé.
Le colloque de la Cour de Cassation est disponible en replay vidéo.
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