Imaginée pour combler les lacunes relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au sein de l’Union, la nouvelle Autorité européenne en la matière assurera un rôle de surveillance de grande ampleur sur les territoires des États membres. Elle devra également participer activement à l’harmonisation de la réglementation et à la coordination des différents acteurs impliqués dans la lutte contre le blanchiment.
NDA –Article rédigé avec la participation de Capucine Briand.
Le 6 décembre 2022, Paris s’est portée candidate pour accueillir la nouvelle Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC), annoncée dans une proposition de règlement publiée par la Commission européenne le 20 juillet 20211. Face aux villes concurrentes que sont Madrid, Vilnius, Vienne et Francfort, Paris fait valoir l’engagement de la France dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT), récemment reconnu par le groupe d’action financière (GAFI). Au terme d’une procédure de deux ans, l’organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme a en effet placé la France au premier rang ex aequo avec le Royaume-Uni en termes d’efficacité LBC-FT. C’est pour asseoir son rôle moteur en la matière que la France souhaite accueillir cette nouvelle autorité européenne, qui disposera de pouvoirs de surveillance et de sanction et veillera à la mise en œuvre harmonisée de la réglementation européenne. Si la candidature de Paris est retenue, l’autorité de lutte contre le blanchiment s’installera dans la même ville que le GAFI et l’Autorité bancaire européenne (ABE), implantée dans le quartier de la Défense depuis 2019.
Le plan d’actions de la Commission pour une politique globale de l’Union européenne (UE) en matière de prévention BC-FT, publié le 7 mai 20202, envisageait deux options.
La première était la création d’une autorité ad hoc ou l’élargissement des pouvoirs et des missions de l’ABE.
La deuxième option s’inscrivait dans la continuité du système actuel, dans lequel des autorités nationales de lutte anti-blanchiment sont coordonnées au niveau européen par l’ABE. Toutefois, face aux défaillances de surveillance desdites autorités nationales, révélées par diverses affaires de blanchiment de capitaux3, la création d’une nouvelle autorité européenne indépendante s’est imposée.
Le 20 juillet 2021, conformément aux avis du Parlement4 et du Conseil européen5, la Commission a donc proposé d’instituer l’ALBC – Anti-Money Laundering Agency ou AMLA en anglais. La proposition a été reprise et renforcée par le Conseil européen dans son texte du 29 juin 20226, qui n’est encore qu’une position partielle, le lieu du siège de la nouvelle autorité n’ayant pas encore été arrêté. Le 28 mars 2023, les députés européens membres de la commission ECON7 ont à leur tour adopté leur version de la proposition de règlement instituant l’ALBC, animés par la volonté de renforcer encore ses compétences. Les négociations entre le Parlement européen et le Conseil, pour l’adoption du règlement définitif, pourront donc débuter courant mai 2023, après un vote en assemblée plénière pour confirmer la proposition adoptée par la commission ECON.
L’ALBC sera une agence décentralisée de l’UE dotée de la personnalité juridique8.
La création de l’ALBC s’inscrit dans un ensemble de propositions législatives ayant vocation à renforcer les règles de l’UE en matière de LBC-FT, à savoir :
L’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment, qui devrait véritablement voir le jour dans le courant de l’année 2023, devra agir dans le cadre délimité par les règlements et directives précités, avec l’objectif de protéger l’intérêt général, la stabilité du système financier de l’UE et le bon fonctionnement du marché unique14.
Cette autorité aura tout d’abord un rôle de surveillance du secteur financier au niveau européen, qui se traduira par :
Dans le cadre de la surveillance indirecte des entités assujetties du secteur non financier, l’ALBC devra coordonner et contrôler des superviseurs non financiers24, y compris des organismes d’autorégulation. Elle pourra demander à ces superviseurs non financiers de mener des enquêtes sur des violations de la réglementation LBC-FT et de sanctionner les entités assujetties le cas échéant25. La délégation des barreaux de France et, avec elle, une partie de la profession s’inquiètent des conséquences des dispositions concernant les organismes d’autorégulation, dont les ordres font partie. Ajoutées à celles contenues dans le projet de directive du 20 juillet 2021, elles pourraient permettre une ingérence d’autorités de supervision nationale et européenne au sein des ordres, remettant en cause le principe de l’autorégulation qui garantit notamment le secret professionnel de l’avocat26.
La coordination des cellules de renseignement financier nationales (CRF)
Si la détection et le signalement des mouvements financiers effectués aux fins de blanchiment demeurent la responsabilité des CRF, tel que Tracfin en France, l’ALBC devra assurer l’échange d’informations et la coopération entre ces CRF. Elle devra également leur fournir une assistance pour identifier les mouvements financiers anormaux et mettre à leur disposition des services et outils informatiques et d’intelligence artificielle pour le partage sécurisé d’informations27.
L’ALBC pourra formuler des orientations et des recommandations aux entités assujetties, aux superviseurs anti-blanchiment ou aux CRF28.
Pour les entités faisant l’objet d’une surveillance directe, elle pourra adopter des décisions contraignantes, des mesures administratives et des sanctions pécuniaires29.
Dans le cadre de la surveillance indirecte, via les superviseurs financiers et non financiers, elle pourra formuler des invitations à agir et des instructions relatives à leurs pouvoirs de surveillances30.
Les sanctions prononcées par l’ALBC à l’encontre des entités assujetties sélectionnées, qui seront publiées, devront être efficaces, proportionnées et dissuasives et respecter le principe ne bis in idem. L’importance de la sanction pécuniaire dépendra de la nature et du caractère transfrontalier du manquement à la réglementation LCB-FT, le texte prévoyant différentes fourchettes en fonction de la nature du manquement et du nombre d’États membres dans lesquels lesdits manquements ont été commis (entre 500 000 € et 2 000 000 € ou 1 % du chiffre d’affaires de l’entité concernée/entre 100 000 € et 1 000 000 € ou 0,5 % du chiffre d’affaires). Il sera également tenu compte de circonstances atténuantes ou aggravantes, qui pourront moduler la sanction sans qu’elle ne soit supérieure à 10 000 000 € ou 10 % du chiffre d’affaires31, ce qui peut paraître relativement faible en comparaison des sanctions susceptibles d’être prononcées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, à savoir 100 000 000 €.
L’Autorité de lutte contre le blanchiment devra également élaborer des normes techniques de réglementation et d’exécution, des orientations et des recommandations dans le cadre de ses missions. Il est aussi attendu qu’elle fournisse des conseils et des contributions à la Commission et aux législateurs sur l’élaboration de la politique de lutte contre le blanchiment.
Pour assumer l’ensemble de ses missions, la Commission avait prévu de doter cette nouvelle autorité d’un effectif de 250 personnes32. Le Conseil a largement augmenté cet effectif et, partant, les moyens d’action de l’ALBC, en le portant à 400 personnes. Des moyens humains supplémentaires qui lui permettront d’exercer son pouvoir de surveillance directe sur 40 entités assujetties sélectionnées33 et non plus 20 comme l’envisageait la Commission.
L’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment, dont les quelques éléments ci-avant exposés permettent de mesurer l’ampleur des missions, devrait être complètement opérationnelle en 2024. Si le Parlement européen et le Conseil s’accordent pour lui octroyer les moyens de leurs ambitions affichées, elle participera sans aucun doute à renforcer l’intégrité du système financier de l’UE. Reste à savoir si l’impulsion européenne de la lutte contre le blanchiment sera donnée dans des locaux parisiens. Réponse attendue fin du premier semestre 2023.
Geoffroy GoubinetNathan Morin
Le 2 mai 2023
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