Par : Mathieu Pollet | EURACTIV France
Le texte prévoit notamment l’obligation pour les plateformes numériques de retirer « les contenus à caractère terroriste ou bloquent l’accès à ces contenus dans tous les États membres dès que possible et, en tout état de cause, dans un délai d’une heure à compter de la réception de l’injonction de retrait. »
Ces « injonctions de retrait » pourront provenir de « l’autorité compétente » de chaque pays de l’UE et être adressées à tous les États membres.
C’est notamment le court délai accordé aux hébergeurs – qui les inciterait à avoir recours à des algorithmes pour leur modération -, l’absence de contrôle judiciaire et le champ d’application transnational des injonctions de retrait qui ont provoqué la levée de boucliers de nombreuses associations, appelant les eurodéputés à rejeter le texte qui menacerait la liberté d’expression et représenterait un danger pour la démocratie.
« Ces règles sont nécessaires pour lutter contre les contenus en ligne diffusés par les terroristes afin de propager leur message, de radicaliser et de recruter des adeptes, ainsi que de faciliter et de diriger des activités terroristes », avait alors expliqué une représentante officielle de la Commission européenne à EURACTIV France.
La dernière lettre ouverte en date d’associations à ce sujet attire particulièrement l’attention des eurodéputés « sur les contradictions de ce texte avec la décision du Conseil constitutionnel français du 18 juin 2020 sur la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet ».
Le Conseil constitutionnel avait en effet retoqué plusieurs dispositions de la loi dite Avia qui devaient imposer une obligation de retrait dans un délai de vingt-quatre heures aux hébergeurs au motif qu’un « tel délai est particulièrement bref » et que l’injonction de retrait prévue « n’est pas subordonnée à l’intervention préalable d’un juge ni soumise à aucune autre condition ».
Lucille Rouet, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, une des organisations signataires de la lettre, regrette que le texte européen présente le même risque que les dispositions de la loi Avia, celui des « retraits préventifs ». Même si elle note que le règlement prévoit des recours, ils seront par définition effectués a posteriori. « Le risque c’est qu’on retire trop de choses, en se basant sur des critères trop larges, pour ne pas être sanctionné », explique-t-elle à EURACTIV.
Des garanties obtenues
« L’accord qui a été négocié, de mon point de vue, semble équilibré. Pas idéal, mais les conditions sont garanties s’agissant des principaux enjeux », a déclaré Sylvie Guillaume, eurodéputée française au sein du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, lors d’un point de presse en amont de la séance en plénière de cette semaine. « Je sais que les autorités françaises nous avaient fait une belle et amicale pression pour que ce texte soit voté depuis plusieurs mois », a-t-elle précisé au passage.
Plusieurs garanties ont en effet été ajoutées à la proposition initiale du projet de règlement. Le texte prévoit désormais que le « matériel diffusé au public à des fins éducatives, journalistiques, artistiques ou de recherche, ou à des fins de prévention ou de lutte contre le terrorisme, y compris le matériel qui représente l’expression d’opinions polémiques ou controversées dans le cadre du débat public, n’est pas considéré comme étant un contenu à caractère terroriste ».
Quant aux filtres automatisés déployés par les plateformes, le règlement souligne qu’ « aucune obligation de prendre des mesures spécifiques ne comporte l’obligation pour le fournisseur de services d’hébergement d’avoir recours à des outils automatisés » et ajoute des obligations de transparence à cet égard.
« Dire que ce n’est pas une obligation, c’est permettre », souligne l’eurodéputé écologiste Gwendoline Delbos-Corfield auprès d’EURACTIV, dans un « contexte où l’algorithme va être moins cher que les moyens humains ». Il ne fait aucun doute, selon elle, que ce sera l’option choisie face aux risques judiciaires et à la « pression morale qui va s’installer ».
Sans compter que « le délai de retrait d’une heure sera pratiquement impossible à mettre en œuvre efficacement pour la plupart des petites plateformes », explique Jacob Berntsson, responsable des politiques et de la recherche chez Tech Against Terrorism à EURACTIV. « Étant donné que les terroristes exploitent les petites plateformes en raison de leur manque de capacité et de ressources, ce règlement risque donc non seulement d’être inefficace pour atteindre l’objectif visé, mais aussi de nuire aux petites plateformes dans le processus », ajoute-t-il.
Le risque d’ « opportunisme »
Elle déplore également le risque d’« opportunisme » de la part de certains États membres qui pourront exhorter leurs voisins de retirer un contenu sans contrôle judiciaire et alors que « le terme ‘terrorisme’ est aujourd’hui utilisé un peu partout, dans la bouche de tout le monde, de manière complètement indu ».
Mme Delbos-Corfield, qui est membre de la Commission spéciale sur l’ingérence étrangère, note par exemple que la « Hongrie a théorisé le fait qu’on était un ennemi de la nation, ce qui n’est pas très loin de terroriste, quand on critiquait un élément du gouvernement ». Et d’ajouter : « Si demain Marine Le Pen arrive au pouvoir, elle pourra considérer qu’être ultra-gauchiste c’est être terroriste ».
Un avis que partage son collègue Patrick Breyer : « La législation antiterroriste est encore et toujours détournée à des fins totalement différentes, par exemple pour réprimer les séparatistes et les artistes espagnols, les manifestants français ou les réfugiés en Hongrie. »
De manière générale, Mme Delbos-Corfield regrette que « les textes législatifs ne soient pas pensés pour le long-terme ».
Pas de vote en plénière
C’est avec un « immense regret » qu’elle a d’ailleurs appris que le règlement ne serait pas soumis au vote en séance plénière.
Alors que le texte en l’état avait été approuvé par la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) le 11 janvier dernier par 52 voix pour et 14 voix contre, un nouveau débat dans l’hémicycle a été écarté.
« Le rapporteur [Patryk Jaki, ndlr) recommande au Parlement européen de l’approuver sans amendements afin que le règlement puisse être adopté rapidement et entrer en vigueur dès que possible » étant donné que la position du Conseil adoptée le 16 mars « reflète pleinement l’accord dégagé dans le cadre des négociations interinstitutionnelles en deuxième lecture anticipée », peut-on lire sur le site du Parlement.
« A chaque fois qu’on évite le débat démocratique, on se prive d’intelligence collective », regrette Mme Delbos-Corfield qui a bien conscience que l’issue du vote était déjà connue. Elle précise néanmoins : « Même si on ne vote pas aujourd’hui, c’est loin d’être fini ».
Texte
p/o Virginie Gastine Menou
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