« Le risque est un travail d’évangélisation. » Cette phrase n’est pas de moi mais de Benoît Vraie. C’est sur cette citation qui m’amuse et correspond bien à mon état d’esprit que je démarre mon blog pour une nouvelle année universitaire. Celui-ci a effet pour objectif de partager des connaissances sur les thèmes du risque, de la gestion des risques, de la Fonction Risk Manager (FRM).
Les sujets que recouvre l’actualité de ces trois thèmes sont nombreux et divers.
Je commencerai l’année avec un panorama de risques dont le moins que l’on plus dire est qu’ils sont divers - comme une liste à la Prévert -. Vous pourrez mieux les connaître et mobiliser la grille d’identification qui m’est chère : les nommer / identifier leurs causes et conséquences / les qualifier - Nouveaux ? Potentiels ou avérés ? Subjectifs ? Amplifiés par le régulateur-législateur et/ou les médias ? Transversaux ? Autant d’éléments qui permettent de les identifier pour mieux les gérer. Pour approfondir cette grille de lecture, voir dans l’ouvrage « Risk management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques. », Ch1. Définition des notions mobilisées et contextualisation de la Fonction Risk Manager.
Les deux contenus de septembre et début octobre porteront sur le Risque Géopolitique.
️Le premier article traite du Risque Géopolitique ; il est l’occasion de revenir en préambule sur les différences entre risques avérés et risques potentiels et risque et incertitude.
️Le deuxième montre comment le Risque Géopolitique est l’une des causes du Risque de Supply-chain, illustrant ainsi la notion de transversalité du risque nécessitant la mise en place d’une démarche de gestion des risques globale et transversale de type ERM et la création d’une FRM au rôle d’architecte de celle-ci dans l’organisation. Pour approfondir la démarche ERM et la FRM, voir dans l’ouvrage « Risk management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques. », Ch.4 Méthodes, démarches et outils des Risk Managers, Ch.5 Place des Risk Managers dans l’organisation, Ch 6 Compétences des Risk Managers.
Risque Géopolitique, quelle place dans les préoccupations des entreprises ?
Le Risque Géopolitique n’est pas nommé de cette façon dans les typologies de risques ou les baromètres. Il apparaît dans l’ancienne typologie de l’AMRAE dans la catégorie des Risques Stratégiques et Externes / sous-catégorie Pays et Macroéconomie / rubriques Politique, Guerre, Terrorisme, GAREAT.
Il est pris en compte dans les préoccupations des entreprises (Baromètre Allianz 2023 - 2 700 répondants / 94 pays / classements Monde et France / par secteur d’activités -) à travers les risques énergétiques et les risques économiques, avec le commentaire suivant : « Il n’est pas surprenant avec la guerre en Ukraine que la Crise énergétique et les Évolutions macro-économiques (ex : inflation, programmes d’austérité) fassent leur entrée dans le top 5 des risques cette année (respectivement en 3e et 4e position). »
Pourquoi est-il devenu une variable stratégique de la réflexion organisationnelle des entreprises ?
Le Risque Géopolitique est un risque potentiel.
Dès 1921, Knight distingue le risque avéré (l’agent possède des informations concernant la probabilité de réalisation et les conséquences) du risque potentiel (l’agent ne peut définir la liste des conséquences possibles d’un évènement ou ne peut déterminer la probabilité de réalisation des résultats identifiés comme dans l’assurance avec la loi des grands nombres).
Les risques potentiels sont complexes à évaluer ; ils élargissent le champ d’investigation des entreprises.
En effet, contrairement aux risques avérés :
A écouter : https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Philippe-Silberzahn-Prise-de-decision-bien-distinguer-risque-et-incertitude_3751641.html
Quelle évaluation du risque géopolitique ?
Lire sur le blog en suivant le lien. Une probabilité élevée (voir causes nombreuses) ; un impact supposé très fort (voir coût élevé).
Appréhender le retour en force du risque géopolitique
Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’année 2022 a été marquée par le grand retour du risque géopolitique sur le sol européen. Pour Coface, spécialiste mondial de l’assurance-crédit, ce conflit replace sur le devant de la scène une typologie de risque qui avait été oubliée.
Êtes-vous d’accord avec l’idée qu’auparavant, les dirigeants devaient gérer du risque, et que c’est la gestion de l’incertitude qui prédomine aujourd’hui ?
Toutes les grandes réalisations humaines ont impliqué des risques d’échec parfois systémiques. L’aviation, le nucléaire, la construction… On n’a de cesse d’essayer de maîtriser le risque car celui qui y parvient est celui qui crée le plus de valeur. Mais ce risque est fait de choses que l’on connaît et d’autres que l’on ignore. Dans le cas de celles que nous avons déjà connues par le passé, nous essayons d’éviter, en cas de répétition, d’être surpris de la même manière que la première fois.
Pour essayer de les maîtriser, nous mettons donc en place des processus, des contrôles, des plans de contingence... Ce qu’on appelle l’incertitude, ce sont des risques qu’on ignore parce qu’ils ne se sont pas encore matérialisés. Notez qu’on peut se demander s’ils sont vraiment nouveaux. La pandémie, le risque géopolitique, ce ne sont pas des nouveautés. Au Moyen-Âge, l’économie était déjà fortement impactée par les guerres et les maladies. Nous pensions cependant que grâce à la science, certains risques avaient disparus ou que nous allions pouvoir toucher les dividendes de la paix à long-terme.
Comment expliquer l’instabilité actuelle ?
Nous nous sommes probablement trompés en pensant que tous les pays allaient se ranger derrière le modèle de l’économie de marché associé à la démocratie. Aujourd’hui, le multilatéralisme est battu en brèche et nous assistons au grand retour du risque politique et à une montée en puissance du risque social. Prenons l’exemple des Etats-Unis : nous sommes passés d’une démocratie qui semblait stable à la prise d’assaut du capitole. La fréquence des crises nous rappelle à une forme de vulnérabilité liée à l’incapacité de les prévoir. Certains avaient anticipé le risque d’une pandémie avec un virus provenant d’une souche animale mais cela ne nous a pas beaucoup avancés, puisqu’on ne savait pas comment le maîtriser.
Quels sont les risques les mieux pris en compte par les entreprises et ceux qui, au contraire, ne le sont pas ?
Conquérir un marché international demande des investissements importants. Si la pérennité de ces investissements n’est pas garantie, il faut y réfléchir à deux fois. Cette équation est plutôt bien prise en compte par les entreprises, même si cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas se tromper ! Globalement nous avions peu anticipé le fait que le monde devienne multipolaire et que de nouvelles barrières réglementaires et juridiques se créent, entre les USA et la Chine par exemple. Il faut désormais reconnaître ce monde nouveau et les fractures qui s’y créent.
Quelles conséquences cela peut-il avoir sur les entreprises ?
On ne sait jamais à quel moment va s’opérer la bascule entre stabilité et crise. Dans ce contexte, il est très difficile pour les entreprises de se projeter : elles ne peuvent plus se limiter à prévoir un seul plan parce qu’à tous les coups, celui-ci va être faux. Chez Coface, nous avions présenté un plan stratégique pour 4 années en février 2020 et 15 jours plus tard, toute la planète était confinée. L’autre spécificité, c’est qu’en temps de crise, tout repose sur la psychologie et la décision humaine qui est, par nature, peu rationnelle. Il ne faut pas être imprudent et faire des paris trop importants dans un sens ou dans un autre, parce qu’on a toutes les chances de se tromper. Pour ne pas être pris au dépourvu, les leaders doivent préparer des scenarii multiples, imaginer ce qui pourrait se passer et se demander comment réagir. Nous avons moins le droit de nous laisser surprendre.
Comment peut-on se préparer pour ne plus être surpris, justement ?
Je pose la vision d’un orchestre symphonique classique : le maestro connaît la partition par cœur. Chacun de ses musiciens a été formé dans la meilleure école et joue avec le meilleur instrument dans des conditions acoustiques parfaites. Dans la vraie vie, cela n’existe pas : il y a toujours quelqu’un qui tousse dans la salle, peut-être même le musicien ! Le quotidien est plus proche d’un exercice de jazz que d’un concert de musique classique : on essaye de créer en prenant en compte l’imprévu. L’entraînement permet d’avoir des routines, des réflexes, des points de repère et de ne pas se laisser désarçonner à la moindre difficulté.
Quels sont les outils sur lesquels les entreprises peuvent s’appuyer ?
Il faut avoir des outils de contrôle qui modélisent et encadrent les variations tout en nous permettant d’être agile : le Lean six sigma, la conformité, la digitalisation, le process management, la planification stratégique... Leur principal défaut est qu’ils nous projettent dans l’avenir en utilisant une vision du passé. C’est comme si, lorsque vous prenez votre voiture, vous ne regardiez que dans le rétroviseur. Ils sont indispensables mais pas suffisants !
Comment l’organisation peut-elle s’adapter ?
En période de crise, le modèle pyramidal fonctionne mal. Le leader est trop contraint dans sa pensée, trop lent dans la prise de décision. Prenons le cas de Coface. Nous sommes présents dans une centaine de pays. Quand le Covid est arrivé, les conditions de marché étaient très différentes d’un pays à l’autre : certaines économies souffraient, d’autres s’en sortaient très bien. Il n’était pas donc possible de prendre une décision unilatérale qui fonctionne pour tout le monde. La réponse a été de laisser de la marge au local pour s’adapter aux circonstances du terrain. L’improvisation constructive est plus utile que la centralisation rigide dans la prise de décision. Le leader doit prendre le risque de perdre le contrôle parce que c’est la meilleure façon de le regagner.
Peut-on se préparer à des risques qu’on ne connaît pas encore ?
Il est impossible de prévoir la prochaine crise. Ce qui est certain, c’est que ceux qui s’y seront préparé s’en sortiront mieux que les autres. Pour cela, il faut faire des exercices, travailler la souplesse, l’agilité de l’entreprise, être capable de tester et d’essayer. De ce point de vue, la culture d’entreprise est particulièrement importante car elle détermine les actions à venir. En cas de difficulté, tout le monde connaît et partage les grands principes à respecter.
Xavier Durand, Directeur général, Coface
Publié le 23 mai 2023. Les Echos
Caroline Aubry
Maître de Conférences - Sciences de Gestion
Risques. Gestion des Risques. Fonction Risk Manager
Blog : https://gestiondesrisques.net/
Ouvrage récent (édition 2022) : « Risk Management. Organisation et Positionnement de la Fonction Risk Manager. Méthodes de Gestion des Risques. » https://librairie.gereso.com/livre-entreprise/risk-management-fris2.html
Université Paul Sabatier - Toulouse III
Laboratoire de Gestion et des Transitions Organisationnelles (LGTO)
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