Discours de François Villeroy de Galhau,
Gouverneur de la Banque de France
Président de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution
Les institutions financières françaises face à la crise
"Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous retrouver pour cette journée de l’ACPR, en ligne, qui accueille pour la première fois le nouveau Vice-Président, Jean-Paul Faugère, et le presque nouveau Secrétaire général, Dominique Laboureix. Il y a six mois, presque jour pour jour, je vous présentais le rapport 2019 de l’ACPR, et la situation alors des institutions financières françaises.
Nous ne sommes toujours pas sortis de cette crise sans précédent : imprévue et imprévisible, mondiale et brutale. C’est la première crise économique née non des dysfonctionnements de l’économie ou de la finance, mais de la juste volonté de sauver des vies. Les conséquences de ce choc sur le secteur financier sont au cœur des préoccupations de la Banque de France et de l’ACPR.
Quelques remarques sur la politique monétaire avant notre Conseil des gouverneurs de décembre; notre enjeu est d’éviter que, tant que le vaccin ne sera pas largement distribué, les effets négatifs de l’épidémie n’affectent durablement l’économie et les perspectives d’inflation. Dans tous les pays de la zone euro, et pour tous les acteurs économiques – États, entreprises, ménages – les conditions de financement sont aujourd’hui plus favorables qu’avant le début de la crise covid, et ce malgré même la seconde vague. Ceci prouve que nos nouveaux instruments (PEPP, TLTRO-III) mais aussi notre forward guidance sont proportionnés et efficaces, en jouant un rôle auto-stabilisateur par leur existence même. Face au risque de prolongation des incertitudes, notre premier objectif doit être que ces conditions de financement restent très favorables pour tous aussi longtemps que nécessaire. Dans ce but, le recalibrage à venir de nos instruments devra attacher une attention particulière non seulement au niveau de notre soutien monétaire, mais aux questions de durée, de flexibilité et de ciblage efficace, bref à la qualité de la transmission de notre politique monétaire.
Malgré un résultat en forte baisse, qui matérialise l’effet de la crise, les banques et organismes d’assurance français font preuve d’une solide résistance. Cette photographie renforce notre confiance mais ne diminue pas notre vigilance: l’environnement économique est entouré d’une grande incertitude, et nous suivons avec beaucoup d’attention l’évolution des risques du secteur financier.
C’est d’abord ce diagnostic de confiance vigilante que je veux porter ce matin (I). J’en viendrai ensuite aux défis que les banques et assurances doivent relever au-delà même de cette crise, en évitant de se tromper de priorités : notamment côté bancaire, la bataille doit porter sur la rentabilité plus que sur la solvabilité (II).
I. Malgré un choc d’une ampleur inédite, les banques et organismes d’assurance français font preuve de résilience
1.1 La crise a, à ce stade, un impact réel mais supportable sur les institutions financières grâce à des fondamentaux solides et au soutien des autorités publiques.
Sur les neuf premiers mois de 2020, avec une chute de près de 39 % par rapport à 2019, le résultat agrégé des quatre principaux groupes bancaires français s’élève à 11 milliards d’euros. Ce repli s’explique essentiellement par le plus que doublement de la charge du risque ; et côté revenus, par un recul sensible des activités d’assurance et de gestion d’actifs. À l’inverse, la banque de financement et d’investissement a globalement bien résisté avec des revenus en augmentation, autour de 3 %. Sur la dynamique de la banque de détail, je souligne que la production de prêts à l’habitat a atteint un plus haut historique en septembre, avec 19 milliards d’euros de crédits nouveaux, démentant au passage les mauvais procès sur la « dégringolade » de l’accès au financement immobilier, qu’auraient entrainée selon certains les recommandations de bon sens du HCSF en matière de critère d’octroi.
Bien que réel, l’effet de la crise ne remet pas en cause les fondamentaux solides des banques françaises qui ont poursuivi leurs progrès en solvabilité. Depuis 2008, leurs fonds propres ont plus que doublé. Les quatre premières banques françaises affichent à fin septembre un ratio de solvabilité supérieur à celui de leurs homologues européennes et américaines à 14,6 % en moyenne, soit + 56 points de base par rapport à fin 2019.
Pour les organismes d’assurance, malgré une baisse de 28 points de pourcentage de leur taux de couverture entre la fin de l’année 2019 et le 3ème trimestre 2020, la solvabilité globale des organismes demeure très solide autour de 239 %.
Cette résilience tient à l’effort des institutions financières elles-mêmes, mais aussi pour beaucoup à l’action des autorités publiques. Ménages et entreprises traversent ce choc grâce notamment au « bouclier de trésorerie » mis en place par les pouvoirs publics. Et il faut saluer le succès, sans équivalent, des prêts garantis par l’État, et activement distribués par les banques : ils se distinguent tant par leur montant total – 125 milliards d’euros, trois fois plus qu’en Allemagne – que par leur ciblage réussi vers les TPE/PME.
1.2 Toutefois, le contexte d’incertitudes économiques prolongées appelle une vigilance renforcée sur la santé financière des banques et assurances
L’économie de la zone euro(i) connaîtra, en 2020, la récession la plus importante depuis la création de la monnaie unique ; elle ne retrouvera son niveau pré-crise qu’au plus tôt fin 2022.
L’économie française a plongé plus que la moyenne au T2 (-14 % contre -12 %), mais rebondi nettement plus fort au T3 (+18,7 % contre + 12 %). Ce double mouvement se reproduira peut-être de la fin 2020 sur le début 2021 : mais si le choc du nouveau confinement apparait trois fois moins lourd que celui du printemps, ses effets pourraient être plus persistants, notamment sur nos capacités d’offre dans les secteurs les plus touchés.
À l’évidence, les incertitudes restent fortes sur 2021, en attendant le plein effet des vaccins. Il faudra suivre avec vigilance l’impact de la forte poussée du chômage au premier trimestre 2021, ainsi que le niveau de défaillance des entreprises, même si celui-ci reste jusqu’à présent à un niveau modéré – inférieur à celui constaté en 2019 et 2018. Des dispositifs de quasi fonds propres publics pour conforter les entreprises seront nécessaires, tout en assurant leur indispensable sélectivité par la présence systématique de co- investisseurs privés.
Toutefois, nous avons toutes les raisons de penser que les institutions financières françaises, y compris dans des scenarii économiques sévères, seront suffisamment solides pour traverser cette crise. Leur rentabilité pourrait en être affectée ; leur solvabilité resterait suffisamment élevée. Deux facteurs expliquent cette meilleure résistance : leur situation, au terme de cette année 2020, meilleure qu’anticipée, et surtout, le rôle capital joué par les dispositifs de soutiens publics qui ont prouvé leur efficacité. Il est ainsi clé que ceux-ci soient prolongés dans la mesure même où la crise se prolonge.
II. Au-delà de la crise, traiter les bons défis
Cette situation globalement rassurante n’est évidemment en rien un appel au « statu quo ». Les banques et les assurances le vivent : la crise Covid agit comme un accélérateur de leurs mutations face aux grands défis structurels qui sont les leurs. Encore faut-il ne pas se tromper de débat, ou de combat : le sujet est aujourd’hui beaucoup moins celui de la solvabilité que de la rentabilité des institutions financières françaises.
2.1 Relativiser le débat sur la solvabilité
Beaucoup de demandes, voire de plaintes du secteur financier se focalisent encore – à nouveau ! – sur les sujets de solvabilité, excessivement me semble- t-il. Commençons par le discret retour d’une musique contre Bâle III. Nul ne peut contester sérieusement que les règles de Bâle aient empêché, cette fois, cette année, la crise économique de dériver en crise bancaire. Et nul ne peut prétendre sérieusement qu’elles freinent le crédit aux entreprises – qui a augmenté de 13 % depuis un an – et en particulier celui aux PME – en hausse de 18 %. Et donc oui, la France doit rester engagée à une mise en œuvre complète de l’accord de Bâle III qui demeure “équitable, raisonnable et définitif” : équitable en particulier quant au parallélisme effectif avec les États- Unis ; raisonnable quant à l’application notamment de l’output floor ; définitif car il n’y aura pas de Bâle 4.
Le report d’un an, déjà, de la mise en œuvre de l’accord a matérialisé, en outre, la volonté du Comité de Bâle de limiter la charge opérationnelle qui pèse sur les banques. Parallèlement, des mesures vigoureuses ont été prises pour leur permettre l’utilisation des coussins de fonds propres et de liquidité, et ainsi de soutenir le financement de l’économie. Les banques sont invitées à utiliser ces flexibilités autant et aussi longtemps que nécessaire. Il est parfois paradoxal de demander un assouplissement hypothétique de Bâle III, mais de ne pas utiliser les souplesses réelles à disposition. Pour donner plus de confort sur leur emploi, nous, superviseurs, devons être clairs sur l’horizon suffisamment long de reconstitution des coussins, après que la crise sera terminée.
Enfin, s’agissant des dividendes, ma conviction est qu’il faut savoir être « sage (ii) avec sobriété » pour paraphraser Molière . Incontestablement, la mise en réserve de l’intégralité des résultats a été en 2020 une mesure efficace pour soutenir la solvabilité. Toutefois, deux arguments plaident maintenant en faveur d’une ouverture prudente vers une distribution, dont il faudra discuter des modalités. Le premier tient, à la capacité de résistance des institutions financières à des chocs très importants, qu’illustre leur situation à la fin de l’année 2020. Le second, stratégique dans le contexte actuel, vise à préserver l’attractivité des institutions financières – également des organismes d’assurance – pour les investisseurs, indispensable pour lever du capital. Et ce d’autant plus que la plupart des juridictions hors d’Europe semblent se diriger vers au moins une libéralisation contrôlée.
Sur la solvabilité des organismes d’assurances, nous progressons au sein de l’EIOPA vers un compromis autour de la revue de Solvabilité II. Incontestablement, et la crise sanitaire le confirme, Solvabilité II a contribué à sécuriser le secteur européen de l’assurance. À ce stade, la revue aura un impact neutre, au moins hors choc de taux, en termes d’exigences de fonds propres ; c’est une bonne chose. Par ailleurs, le calendrier avec une entrée en vigueur au plus tôt en 2024 – donnera un temps précieux aux organismes d’assurance. Il convient d’une part de le mettre à profit pour adapter leurs modèles aux modifications apportées sur le choc de taux d’intérêt, et d’autre part, de se saisir des avancées importantes sur le traitement de l’investissement de long terme.
2.2 Le vrai défi, côté bancaire, est celui de la rentabilité
Je l’ai dit en mai dernier, je le dis plus clairement encore aujourd’hui : le secteur bancaire européen n’a, comparé aux banques américaines une rentabilité ni excessive, ni même suffisante. Il y a là de multiples causes, j’y reviendrai. Mais incontestablement, l’environnement prolongé de taux bas a mis sous pression la rentabilité des acteurs financiers. Le reconnaître ne vaut pas condamnation des taux bas : ils sont la traduction de tendances structurelles de long terme, et sont mis en œuvre pour le bien commun. Mais le reconnaitre vaut nécessité d’adaptation.
Ainsi, depuis septembre 2019, le Conseil des gouverneurs sait compenser les effets des taux bas. C’est l’objectif du « tiering », qui réduit chaque année le coût des taux négatifs de plus de 4 milliards pour les banques européennes, dont environ 900 millions pour les établissements français. De plus, le taux d’emprunt « bonifié » des TLTRO (-1 %), inférieur au taux de dépôt (-0,5 %) jusqu’en juin 2021, a également un effet tout à fait significatif.
Mais il y a des défis structurels qui reviendront aux stratégies de numérisation et de consolidation des institutions financières elles-mêmes. La digitalisation accélérée des processus et des réseaux permet des économies fondamentales pour l’avenir, et est indispensable pour fidéliser les clients, notamment les plus jeunes. L’efficience passe également par l’émergence d’un véritable « marché unique bancaire ». Il faut accélérer la formation de véritables groupes bancaires pan-européens susceptibles de capitaliser sur leur taille, et développer des économies d’échelle face précisément à ces investissements numériques qui sont des coûts fixes. Le secteur financier européen demeure encore trop fragmenté et vulnérable aux chocs asymétriques.
Pour les organismes d’assurance, le défi de rentabilité en environnement de taux bas passera, inévitablement, par l’adaptation des modèles d’affaires : l’alliage de la sécurité, de la liquidité et du rendement – qui a tant fait pour le succès du fonds euro en assurance-vie – n’est plus tenable. La diversification des avoirs de la clientèle vers des supports en unités de compte ne doit cependant pas constituer la seule ni la meilleure alternative : le secteur des assurances doit repenser son offre. Une épargne moins liquide, plus longue, doit pouvoir réunir une certaine protection du capital et le meilleur rendement des actions. Dans cette optique, le secteur pourra s’interroger sur sa capacité à soutenir durablement en fonds propres les entreprises viables qui auront été fragilisées par la crise. La loi Pacte constitue une avancée importante avec le développement d’Eurocroissance et surtout de l’épargne retraite. Et grâce à une information claire sur le coût global du contrat, les décisions de souscription pourront être prises en toute connaissance de cause. Il importe aussi de veiller à la maîtrise et à la transparence des frais de gestion.
C’est sur la ligne de crête étroite entre confiance et vigilance que les équipes de l’ACPR – et du MSU à l’échelle européenne – œuvrent sans relâche depuis le début de cette crise. C’est notre exigence pour sécuriser avec pragmatisme les institutions financières et leur permettre de se concentrer sur leur mission première au service des Français. Y a-t-il in fine meilleure preuve de la nécessité d’une intermédiation financière forte que cette crise ? D’un côté, 90 milliards d’euros d’épargne supplémentaire des Français ; de l’autre des dizaines de milliards d’euros de besoin additionnel des entreprises quant à leurs fonds propres. Il ne s’agit pas d’exposer directement les épargnants à des risques trop élevés, mais d’innover dans les offres bancaires et d’assurance pour mobiliser l’épargne française au service de la reconstruction et des investissements privés. Et d’accélérer dans la transformation schumpétérienne des institutions financières elles-mêmes. À cette condition, cette rude crise pourra aussi être notre chance. Je vous remercie de votre attention.
(i) Commission européenne, Prévisions économiques d’automne, Novembre 2020.
(ii) "Il faut, parmi le monde, une vertu traitable, À force de sagesse on peut être blâmable, La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété. Molière, Le Misanthrope, I, 1, v. 149-152.
Site ACPR
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