23 MAI 2024
Il y a quelques jours, Manon Aubry, tête de liste de la France Insoumise, s’est illustrée en publiant un visuel de campagne dénonçant l’ampleur des revenus parallèles des députés européens. Les données reprises dans ce visuel figurent dans les déclarations d’intérêts des députés européens. Ce sont des données importantes pour la prévention des conflits d’intérêts et notre ONG les rend facilement accessible avec l’outil IntegrityWatch.eu. Toutefois, notre ONG n’est pas responsable de l’exploitation démagogique et polémique de ces données.
La polémique n’ayant duré que quelques heures et s’étant en grande partie retournée contre son auteur, il faut faire crédit à Manon Aubry, députée d’avoir mis le doigt sur un enjeu caractéristique du Parlement européen : le nécessaire encadrement des activités annexes des députés européens. Le visuel rate le véritable problème que sont les potentiels conflits d’intérêts liés à ces activités annexes.
Nous sommes habitués en France à débattre du cumul des mandats qui a longtemps été une plaie de notre démocratie. Au Parlement européen, la plaie est de nature différente : ce sont les activités privées rémunérées qui sont très développées et exposent les parlementaires européens à de sérieux risques de conflit d’intérêts.
Le code de conduite des députés européens ne prévoit qu’une seule interdiction : celle des activités de lobbying. Cette seule interdiction posée, tout le reste est possible…et les activités annexes lucratives des parlementaires font partie intégrante de l’écosystème politique bruxellois.
En 2023, les 705 députés européens avaient déclaré 1678 activité annexes qui peuvent être évaluées monétairement entre 3,5 et 11,2 millions d’euros. Certaines de ces activités sont liées à des fonctions publiques, d’autres à des responsabilités privées. Certaines activités constituent parfois une activité professionnelle régulière parallèle au mandat parlementaire…
Les activités les plus sensibles du point de vue de la prévention des conflits d’intérêts sont les 12% d’activités déclarées qui sont en lien avec une organisation enregistrée au Registre de transparence du lobbying qui est commun au Parlement, au Conseil et à la Commission. Si le Parlement européen interdit formellement aux députés européens d’avoir des activités de lobbying, il n’est pas interdit aux députés européens de travailler pour une entreprise qui fait du lobbying…mais les députés qui agissent ainsi se placent dans une zone de haut risque.
Pour mémoire, l’indifférence éthique a coûté cher à Sylvie Goulard en 2019. Le Parlement européen a rejeté sa candidature à un poste de commissaire en raison de son activité rémunérée au sein de l’Institut Berggruen. Parallèlement à son mandat parlementaire, Mme Goulard a ainsi perçu 12 000€ de revenus mensuels pendant 27 mois (autour de 350 000 euros)… à l’époque, la députée ne voyait aucun problème à doubler son traitement en exerçant dans un think tank bruxellois. La justice française examine encore la légalité de ce cumul. Les activités parallèles sont une des plaies démocratiques du Parlement européen.
Plus grave, les déclarations d’intérêts des députés européens sont peu fiables. 20% des déclarations d’activité sont imprécises et ne permettent pas d’évaluer précisément la nature des fonctions, les revenus générés ou le niveau de responsabilité du parlementaire. 42 % des déclarations relatives à des emplois salariés – celles qui sont le plus susceptibles de provoquer des conflits d’intérêts – étaient imprécises. Ce flou pose problème.
Après le scandale du Qatargate, le Parlement a décidé de modifier les obligations déclaratives des députés européens. Si la création d’une déclaration de patrimoine pour la législature qui commence en juin est une bonne nouvelle, les nouvelles déclarations d’intérêts sont moins complètes que les précédentes puisque que les activités occasionnelles générant moins de 5000 euros de revenus par an n’ont plus besoin d’être déclarées…
Enfin, il est impératif que les déclarations des députés soient exploitables par des tiers, par la presse ou des acteurs de la société civile. Aujourd’hui, les déclarations des parlementaires sont publiées sous le format PDF, cette solution complique l’exploitation et les croisements avec d’autres données publiques (agendas, invitations, votes…).
Imprécises, ces déclarations d’intérêts ne sont pas véritablement contrôlées. Seul un contrôle préalable, exigeant et externe permettrait d’assurer la complétude, la précision et la véracité des déclarations. Les déclarations non conformes devraient être rejetées et les députés récalcitrants être sanctionnés.
Nous en sommes loin. Au Parlement européen, le contrôle incombe à la Présidence qui peut saisir un comité consultatif qui est composé uniquement de parlementaires sans aucune personnalité extérieure et indépendante. Lors de la dernière législature, la Présidence du Parlement n’a saisi que quatre fois le comité consultatif.
Ce contrôle interne, dans l’entre-soi du Parlement, est loin d’être aussi exigeant que celui exercé en France par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui fait figure de référence au niveau européen et les organes de déontologie des deux assemblées qui incluent le contrôle des frais de mandat et les déclarations de dons, de cadeaux et d’invitations. A Bruxelles, les questions d’intégrité sont trop souvent traitées en interne, au sein de chaque institution, et c’est la raison pour laquelle nous demandons la création d’un véritable organe éthique européen qui assure un contrôle indépendant, efficace et transparent.
D’une fiabilité très relative au moment de leur publication les déclarations des parlementaires peuvent perdre toute pertinence si elles ne sont pas mises à jour au cours du mandat. Fin 2023, seuls 207 députés (moins d’un tiers) avaient procédé à une mise à jour au cours du mandat.
C’est très peu et, là encore, seul un contrôle externe et des sanctions peuvent garantir la mise à jour effective de leurs déclarations par les députés.
Faire sa déclaration d’intérêts ne doit pas être une formalité que les députés accomplissent comme on coche des cases. Cette obligation doit permettre d’identifier les activités parallèles susceptibles de provoquer des conflits d’intérêts : la participation à des conseils d’administration, l’appartenance à un cabinet d’avocat travaillant sur la législation européenne…Si ces activités ne sont pas correctement identifiées, les conflits d’intérêts ne peuvent être ni anticipés ni traités, par exemple par un déport du député.
Le cadre européen est trop souple et doit être renforcé par des interdictions claires comparables aux incompatibilités du code électoral français qui restreignent les possibilités pour un député ou un sénateur français de diriger une entreprise, de siéger dans un conseil d’administration ou d’avoir une activité de conseil…
Certaines législations nationales vont même plus loin. La Slovénie interdit par exemple toute activité lucrative en dehors de l’enseignement, de la recherche, de la culture ou de l’édition et prévoit une saisine obligatoire préalable avant de commencer toute nouvelle activité.
Pour sortir Bruxelles de sa torpeur éthique, Transparency International propose de bannir les activités parallèles lucratives à l’exception de certaines activités d’intérêt général (par exemple l’éducation ou santé). Les têtes de liste aux élections européennes sont bien silencieuses en la matière…
Inscrivez-vous et accèdez à l’ensemble de l’actualité GRACES.Community.