Big techs & secteur financier : quels risques, quelles réponses réglementaires ?

Christophe BARDY - GRACES community
8/11/2024
Propulsé par Virginie
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Les grands acteurs du numérique, ou « big techs », occupent une place encore limitée dans le secteur européen des services financiers. Cependant, portés par des innovations technologiques qui leur offrent un avantage comparatif important, les big techs élargissent progressivement leur offre de services à des domaines jusqu’alors couverts par des entités faisant l’objet d’une supervision prudentielle. Ils disposent en outre d’un fort potentiel de développement, en raison de leur très large communauté d’utilisateurs, de leur capacité de traitement des données et de leur surface financière.


Dans ce document:


  • Sommaire

Un développement rapide des big techs dans le secteur financier pourrait présenter des risques pour la stabilité financière. D’une part, le phénomène de fragmentation des opérations financières auquel ce développement contribue peut générer une dépendance accrue des acteurs financiers traditionnels aux services proposés par les big techs, soulevant des questions de résilience opérationnelle pour l’ensemble du secteur. D’autre part, l’essor de l’activité de ces groupes, notamment en matière d’offre de crédit non-bancaire, en propre ou en distribution, éventuellement combinées à des activités de paiement, de gestion d’actifs ou de services sur crypto-actifs, pourrait ouvrir de nouveaux vecteurs de contagion du risque financier au reste de l’économie, du fait de multiples sources d’interconnexion avec la sphère financière et l’économie réelle.


L’UE a su apporter une réponse rapide à certains enjeux prioritaires de résilience et de concurrence, avec les règlements Digital Operational Resilience Act (DORA) et Digital Market Act (DMA). Au-delà de ces aspects essentiels, les régulateurs doivent cependant veiller à ce que les risques pour la stabilité financière posés par le développement de ces acteurs soient correctement appréhendés et encadrés. À cet égard, le cadre réglementaire actuel présente plusieurs lacunes qui appellent des ajustements :

  • Les régimes de consolidation prudentielle, lorsqu’ils existent, peuvent être facilement contournés dans le cas de groupes dont les activités sont majoritairement non financières. Une stratégie de développement fragmenté peut ainsi empêcher une vision complète par le superviseur de l’ensemble des activités d’un même groupe et des possibles interdépendances entre activités financières et auxiliaires. Cette absence de vision globale rend particulièrement complexe l’exercice des missions de surveillance prudentielle. Elle pose notamment des difficultés pour calibrer d’éventuelles mesures micro prudentielles, et offre des possibilités pour les groupes de mettre en place des schémas de transformation bancaire sans les contraintes associées, soulevant une question légitime d’égalité de traitement avec les acteurs traditionnels régulés ;

 

  • L’absence de régime européen harmonisé encadrant l’activité d’octroi de crédit ouvre, dans un univers digitalisé, des possibilités d’arbitrage qui peuvent être facilement exploitées par ces acteurs, en localisant leurs activités là où les contraintes réglementaires sont les plus faibles. Or, la défaillance d’acteurs big tech fournissant du crédit à grande échelle pourrait affecter la stabilité financière, au regard de leurs nombreuses interconnexions avec des partenaires financiers et de leurs liens possibles avec des épargnants ;

 

  • Le cadre règlementaire actuel n’est pas forcément adapté à des situations dans lesquelles le rapport de force avec les partenaires commerciaux serait inversé, pouvant induire une perte de contrôle et d’autonomie des établissements financiers dans le cas où les big techs partenaires deviendraient incontournables dans la distribution des produits et services financiers.


Il apparaît ainsi nécessaire, pour mieux encadrer le développement des big techs dans le secteur financier et concilier à la fois la préservation des capacités d’innovation et les impératifs de stabilité financière, de compléter les réponses déjà apportées par l’UE en matière de résilience opérationnelle et de concurrence par une composante à vocation financière.


S’inscrivant dans le débat amorcé aux niveaux international et européen, le présent document de réflexion élabore deux grandes pistes d’évolutions réglementaires, pouvant être mises en œuvre de manière séquencée et proportionnée :


  1. Renforcer et harmoniser les règles sectorielles encadrant les activités dans lesquelles les big techs se développent. Cet objectif peut être décliné en deux priorités à court terme : i) d’une part, l’introduction d’exigences prudentielles au niveau consolidé pour les activités de services de paiement et de monnaie électronique, afin de disposer d’informations fiables et à jour sur l’ensemble de ces groupes et leurs activités à l’échelle européenne ; ii) d’autre part, la mise en place d’un régime européen encadrant l’activité de prêts non bancaires (non bank lending), aujourd’hui fragmenté entre différents régimes nationaux, afin de renforcer la solidité financière de ces établissements et limiter les possibilités d’arbitrage réglementaire des groupes abritant ces entités.
  2. Imposer aux groupes d’activités mixtes le regroupement de leurs activités financières et auxiliaires significatives au sein d’une structure dédiée, afin de permettre une supervision consolidée et le cas échéant, lorsque les activités financières combinées du groupe présentent des risques de nature similaire à ceux d’un établissement de crédit, l’application des règles bancaires à l’ensemble du sous-groupe financier.


Ces évolutions réglementaires, loin de freiner les capacités d’innovation portées par les groupes big techs, sont susceptibles de les stimuler en offrant un cadre juridique stable et harmonisé.


Ce document s’articule en quatre grandes parties : il décrit d’abord la manière dont les big techs ont progressivement investi le marché des services financiers, et comment cette incursion pourrait s’accroitre à l’avenir. Il présente ensuite les risques pour la stabilité financière liés à cet essor et souligne les limites du cadre réglementaire existant. Il énonce enfin une série de propositions réglementaires qui permettraient de mieux appréhender et contenir ces risques, sans pour autant brider l’innovation que portent ces acteurs.



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