Justice privée donc discrète pour les entreprises, l’arbitrage a ses règles et ses limites. Le panel d’experts réunis à l’occasion de la dernière édition du GACS aborde quelques spécificités essentielles de cette activité fortement encadrée mais susceptible de se heurter parfois à la raison d’Etat.
Dominique MONDOLONI, avocat associé, WILLKIE FARR & GALLAGHER LLP, Jean-Baptiste CARPENTIER, directeur de la conformité, VEOLIA, Daniel COHEN, professeur agrégé des facultés de droit, UNIVERSITÉ PARIS 2 PANTHÉON-ASSAS, Anne DUREZ, compliance officer, TOTAL ENERGIE, présidente du think tank Femmes de Loi, Virginie GASTINE MENOU, coordinatrice scientifique des Business & Legal Forums, fondatrice Risques et Vous nous répondent.
« L’arbitrage est un mode de résolution intéressant des litiges mais il nécessite une certaine prudence », rappelle Dominique MONDOLONI, avocat associé, WILLKIE FARR & GALLAGHER LLP. Pour Daniel COHEN, professeur agrégé des facultés de droit, UNIVERSITÉ PARIS 2 PANTHÉON-ASSAS, « l’arbitrage constitue un apport positif car cela nécessite des experts, une audience, des documents, un examen approfondi des pièces, un certain nombre de précautions et l’intervention d’avocats qualifiés spécialisés ».
L’arbitrage constitue un apport positif car cela nécessite des experts, une audience, des documents, un examen approfondi des pièces, un certain nombre de précautions et l’intervention d’avocats qualifiés spécialisés. Daniel COHEN, professeur agrégé des facultés de droit, UNIVERSITÉ PARIS 2 PANTHÉON-ASSAS
Une sentence arbitrale peut parfois être discutée. « On peut s’interroger sur son caractère juste et sur les bénéficiaires ultimes de cette décision et si l’arbitre doit/peut vérifier l’identité du bénéficiaire ultime de la sentence. Mais il n’en reste pas moins que les arbitres sont saisis dans le cadre d’un contrat », ajoute l’avocat. « Les aspects positifs de l’arbitrage sont indéniables », affirme Virginie GASTINE MENOU, Risques et vous. De fait, en droit français, l’immunité de l’arbitre se heurte aux principes de la responsabilité civile contractuelle. La responsabilité pénale de l’arbitre, qui a le devoir de faire obstacle à l’infraction commise par les parties, est garante du bon comportement des parties. C’est pourquoi, chaque fois que la faute reprochée n’est pas intimement liée au contenu du jugement de l’arbitre, notre droit reconnaît aux parties le droit de demander réparation du dommage subi. Par ailleurs, les institutions d’arbitrage procèdent déjà à un réel contrôle disciplinaire des arbitres statuant sous leurs auspices, et s’autorisent dans une certaine mesure à écarter les arbitres défavorablement connus ou à sanctionner les arbitres, par exemple lorsqu’ils dépassent les délais, comme le soulignaient les auteurs du rapport La responsabilité de l’arbitre (Le Club des juristes. 06/2017). Au demeurant, l’article 40 du code de procédure pénale français impose l’obligation, « pour toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, dans l’exercice de leurs fonctions », de signaler des crimes ou délits dont il a connaissance**.** « Mais cette obligation ne concerne pas les arbitres qui sont des juges privés », rappelle Dominique MONDOLONI.
Au-delà de la question des arbitres, on peut s’interroger sur l’opportunité de prévoir un contrôle par les arbitres de l’identité des bénéficiaires économiques ultimes de la décision qu’ils vont rendre. L’arbitre doit/peut vérifier l’identité du bénéficiaire ultime de la sentence, c’est une vraie question. Dominique MONDOLONI, avocat associé, WILLKIE FARR & GALLAGHER LLP
Pour l’entreprise, la composition du tribunal et le choix des arbitres constituent des points importants. A certaines occasions, les arbitres ont des réactions parfois opposées, selon les valeurs qu’ils défendent, le contexte dans lequel ils officient ou le pays où est rendue la sentence. Leur complémentarité peut également être radicalement différente, suivant leurs nationalités Pour Jean-Baptiste CARPENTIER, directeur de la conformité, VEOLIA, quand des faits de corruption font l’objet d’un arbitrage, on pourrait arriver à des décisions pouvant soulever des questions au regard de la conformité. Mettre sur la place publique des cas de corruption n’est pas toujours admissible d’un point de vue international, complète Daniel Cohen. De façon générale, les arbitres se montrent généralement très prudents pour des raisons d’éthique et de responsabilité personnelle. Sans oublier que la vision et la perception de la corruption varie d’un pays à un autre. Si l’arbitrage est une justice privée, certains dossiers peuvent toucher à des sujets concernant l’ordre public national ou international. « Un tribunal composé de trois arbitres peut-il traiter d’une affaire internationale ? Les enjeux peuvent dépasser les accords entre les deux parties d’un contrat. », indique Jean-Baptiste Carpentier. Dans un certain nombre d’affaires, une autre logique est à l’œuvre : celle de la raison d’Etat (ex : contrat utile pour l’intérêt supranational et son agenda géopolitique). Là, le danger d’instrumentalisation de la justice existe bien et bien.
Un tribunal composé de trois arbitres peut-il traiter d’une affaire internationale ? Les enjeux peuvent dépasser les accords entre les deux parties d’un contrat. Jean-Baptiste CARPENTIER, directeur de la conformité, VEOLIA.
Un bon critère pour introduire des clauses d’arbitrage dans un contrat réside dans l’appréciation du niveau de risque qui y est attaché. Les consignes du Department of Justice (DoJ) sont parfaitement claires à cet égard : il vaut mieux limiter les arbitrages aux contrats présentant un niveau de risque élevé. « Pour une bonne efficacité et une sécurité juridique optimale, il serait également opportun de réfléchir à la pertinence des clauses d’escalade (ou clauses de règlement des litiges à plusieurs niveaux) qui sont couramment incluses dans un certain nombre de contrats commerciaux. », complète ANNE DUREZ, compliance officer et présidente du think tank Femmes de Loi. Le rôle rempli par le responsable de la conformité de l’entreprise reste déterminant. Rappeler aux salariés d’une entreprise et de ses filiales la nécessité d’insérer des clauses de lutte contre la corruption dans les contrats et conventions que la société peut être appelée à signer est essentiel mais cela ne suffit pas. Des actions de sensibilisation et de formation concrètes sur ces questions demeurent essentielles. », conclut-elle.
Pour une efficience et une sécurité juridique optimale, il serait également opportun de réfléchir à la pertinence des clauses d’escalade (ou clauses de règlement des litiges à plusieurs niveaux) qui sont couramment incluses dans un certain nombre de contrats commerciaux. ANNE DUREZ, compliance officer et présidente du think tank Femmes de Loi
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