Présidée par l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, la \*commission « Pour un droit européen de la compliance » du Club des juristes recommande d’harmoniser le droit européen en matière de lutte contre la corruption en adoptant un paquet anticorruption composé de trois directives et d'insérer des clauses anticorruption dans les actes de droit européen dérivé. Elle propose également d'achever le modèle français de la compliance en matière de lutte contre la corruption mis en place par la loi Sapin 2 (Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique). Au total, ce sont 21 recommandations qui sont présentées afin de renforcer les acquis nationaux et européens en matière de compliance.
Une étude publiée en 2016 par le think tank Research and Development (RAND) Europe, et reprise par le Parlement européen, estimait que la corruption coûte entre 179 et 990 milliards d’euros à l’Union européenne.
De même, les condamnations les plus importantes infligées sur le fondement du FCPA entre 2008 et 2018 concernent principalement des entreprises européennes (14 entreprises européennes et seulement 5 entreprises américaines sur les 26 entreprises condamnées), lesquelles entreprises se sont acquittées d’un montant global de 5,339 milliards de dollars, représentant 60,17 % du montant total des amendes prononcées.
Constatant que les instruments juridiques de l’Union européenne en matière de lutte contre la corruption demeurent insuffisants, la Commission du Club des juristes recommande l’adoption d’un paquet «compliance » européen susceptible de mieux protéger les entreprises européennes face au risque que représentent les procédures extraterritoriales américaines.
Ce paquet anticorruption de droit européen devrait être composé de **trois directives.
**Une **première directive devrait imposer aux Etats membres de se conformer aux principes et recommandations dégagés par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en matière de lutte contre la corruption**, sur le fondement en particulier de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales signée dans le cadre de cette organisation en 1997. « Tous les Etats membres se conformeraient ainsi à l’acquis de l’OCDE en matière de lutte contre la corruption. Ce serait une première étape dans l’harmonisation des droits Etats membres dans la lutte contre la corruption » explique Antoine Gaudemet, Rapporteur, Professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas.
Une deuxième mesure consisterait à abroger la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil 19 du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé, puis à reprendre le contenu de cette décision-cadre dans une directive tout en le modernisant. La nouvelle directive adoptée devrait en particulier imposer aux Etats membres d’incriminer les faits de corruption active ou passive dans le secteur privé commis en dehors de leur territoire, mais présentant un lien de rattachement avec celui-ci, ainsi que le permet par exemple l’article 435-6-2 du Code pénal français depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2. Il s’agit ici de « rééquilibrer la relation de l’Union européenne avec les autres puissances, et en particulier les Etats-Unis » précise Antoine Gaudemet.
Une troisième directive devrait imposer aux Etats membres de soumettre les entreprises de taille significative à des obligations de prévention et de détection de la corruption, tout en laissant ceux-ci libres du choix de l’autorité en charge de contrôler le respect de ces obligations et d’en sanctionner la violation, le cas échéant. Le contenu de ce texte devrait être emprunté à l’acquis de l’OCDE en la matière, en particulier à la recommandation du Conseil de cette organisation du 26 novembre 2019, ainsi qu’à une revue des droits des Etats membres imposant déjà à leurs entreprises des obligations de prévention et de détection de la corruption. Cette dernière directive a pour objectif de « créer un « level playing feld » (niveau de jeu égal) européen en matière de lutte contre la corruption pour un meilleur fonctionnement du marché unique européen ».
En parallèle de l’adoption d’un paquet anticorruption de droit européen, la commission recommande d’introduire des clauses anticorruption dans les actes de droit européen dérivé, en particulier les directives sectorielles et les accords commerciaux conclus par l’Union européenne.
De telles clauses existent déjà, en ce qui concerne l’accès à la commande publique, dans les directives relatives aux marchés publics.
Selon la commission, des clauses analogues devraient être introduites dans les actes de droit européen dérivé sectoriels qui subordonnent à autorisation l’exercice de certaines activités réglementées, comme en matière de banque, de services d’investissement et d’assurance.
Ces clauses, en conditionnant l’accès des opérateurs économiques au marché unique européen à des exigences de probité, contribueraient à rétablir un rapport équilibré entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique, ainsi que les autres puissances mondiales, en matière de lutte contre la corruption.
Par ailleurs, la commission recommande d’envisager à terme la possibilité d’étendre la compétence matérielle du Parquet européen à l’ensemble des actes de corruption internationale, indépendamment du fait de savoir si ceux-ci portent ou non atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.
Cependant, compte tenu des obstacles qui s’opposent à l’extension immédiate de la compétence du Parquet européen, la commission recommande dans un premier temps de renforcer la coopération entre les Etats membres en matière de lutte contre la corruption internationale
Le rapport pointe également des lacunes du dispositif français de lutte contre la corruption créé par la loi Sapin 2. La commission recommande la fusion de l’AFA et de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), afin de créer une nouvelle autorité plus forte et efficace.
Elle suggère aussi de créer un référentiel compliance anticorruption adapté aux collectivités territoriales, qui tienne compte des spécificités de leur statut et de leurs dimensions.
Une autre mesure consisterait à rehausser le positionnement et le rôle du directeur conformité dans les entreprises d'une certaine taille en rattachant la fonction à la fois au chef de l'exécutif et au conseil d'administration, via son comité de la gouvernance et/ou de l'éthique.
Enfin, la commission considère que le domaine de la Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) a vocation à être étendu à la plupart des infractions relevant de la délinquance économique et financière des entreprises, de même qu’aux infractions portant atteinte à l’environnement, comme le propose déjà le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée adopté par le Sénat en première lecture le 3 mars 2020.
Arnaud Dumourier (@adumourier)
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