Au cours du second semestre 2020, l’ACPR a mené une enquête auprès d’une quinzaine d’assureurs visant à évaluer le niveau de collecte des supports d’investissement durables, les caractéristiques et les modalités de commercialisation de ces produits ainsi que la nature des communications vis-à-vis des clients et prospects en matière de durabilité. Voici les principaux enseignements de cette enquête.
Une des conditions essentielles de l’essor de la finance durable est de permettre à chaque épargnant, s’il le souhaite, d’investir son épargne dans des activités économiques durables en étant correctement informé. C’est tout l’objet de plusieurs législations récemment parues : le règlement UE 2019/2088 dit SFDR qui vise à imposer des exigences de transparence quant à la durabilité des produits et des activités d’investissement, le règlement 2020/852 dit taxonomie qui vise à créer un référentiel harmonisé des activités économiques durables. Un dernier aspect réside dans l’adaptation des règles sectorielles de commercialisation des produits financiers de manière à y intégrer les aspects de durabilité. Ces adaptations devraient entrer en application en octobre 2022.
Par ailleurs, le législateur français a également souhaité stimuler le développement de la finance durable en approfondissant les exigences européennes de transparence du règlement SFDR via l’article 29 de la loi énergie climat et, pour l’assurance spécifiquement, en imposant l’inclusion de supports d’investissement à caractère extra-financier dans la gamme des supports offerts par les contrats d’assurance-vie multi-supports . De plus, l’Autorité des Marchés Financiers a publié en 2020 une
position-recommandation visant à assurer une proportionnalité entre l’ambition de durabilité d’une gestion collective et la place réservée à cette thématique dans la communication à l’endroit des investisseurs.
Dans ce contexte, l’ACPR a adressé un questionnaire à une quinzaine de compagnies d’assurance-vie françaises correspondant à 85 % du marché en termes de provisions techniques représentatives d’engagements en unités de compte. Les principaux enseignements de ce questionnaire sont retracés ci-après.
Volumes d’encours et de collecte relatifs aux supports à caractère durable :
Compte tenu de la diversité des produits d’investissement pouvant prétendre à un caractère extrafinancier, le parti pris du questionnaire a été d’adopter une approche large pour la notion de support d’investissement à caractère durable en se référant simplement aux articles 8 et 9 du règlement SFDR. Aussi, les répondants disposaient d’une certaine discrétion pour choisir une approche plus ou moins restrictive dans l’identification de ces supports au sein de leur gamme. À noter qu’aucun répondant n’a reporté de données relatives à des supports euros parmi les encours et collecte de supports à caractère durable même si la politique de placements de certains organismes intègre dès à présent certaines considérations extra-financières.
En 2019, les supports durables étaient déjà largement présents au sein des produits : 72 % des produits multi-supports commercialisés (en nombre de produits) en proposaient au moins un et ceux-ci représentaient 93 % des polices souscrites à fin 2019.
Toutefois, l’épargne investie sur les supports durables apparaît encore limitée. Fin 2019, ces supports représentaient 6,2 % des encours UC (6,9 % pour l’épargne et 2,6 % pour la retraite). Cependant le niveau de collecte apparaît plus élevé et témoigne d’une tendance générale à la diffusion de ces produits : les supports durables représentent 15 % de la collecte UC en 2019 avec la même disparité entre épargne (15,4 %) et retraite (10 %). De plus, la proportion de ces supports dans la collecte relative aux produits d’épargne apparaît avoir nettement augmenté au premier semestre 2020 (24 % contre
15,4 % en 2019).
Ces chiffres attestent de l’accessibilité des supports d’investissement à caractère durable pour une nette majorité des souscripteurs dès 2019. Ils témoignent aussi de l’amorce d’une dynamique s’agissant des volumes de collecte notamment pour les produits d’épargne.
Labellisation des supports et mise en œuvre de PACTE :
Une part importante des supports d’investissement durable proposés dans les produits ne sont pas labellisés (il peut s’agir de fonds respectant des méthodologies d’intégration des facteurs ESG établis par certaines agences, de fonds respectant le standard de la doctrine AMF ou bien encore de supports constitués de titres vifs). Parmi les supports labellisés, figure un nombre très significatif de supports relevant de labels étrangers qui représentent dans certains cas la majorité des encours à caractère extra-financier. Parmi les labels étrangers, les labels luxembourgeois et belges sont les plus présents.
Les répondants indiquent ne pas avoir eu de difficulté à se conformer en 2020 à la loi PACTE et une majorité d’entre eux vont anticiper la nouvelle étape de PACTE en proposant dès 2021 chacun des trois supports durables requis à compter du 1er janvier 2022. Pour se conformer à la loi, la plupart des répondants ont privilégié le label ISR en raison de la plus grande diversité et du plus grand nombre de fonds disposant de ce label. En comparaison, les autres fonds permettant de se conformer à PACTE, ceux labellisés « Greenfin » ou ceux investissant dans l’économie sociale et solidaire, sont en nombre beaucoup plus limités, sont moins fréquemment éligibles comme unité de compte. Ils se caractérisent par une diversité moindre de leur stratégie d’investissement et de leurs caractéristiques financières.
Modalités d’introduction des unités de compte à caractère durable dans l’offre :
Pour la plupart des répondants, l’offre de produits à caractère durable n’a pas donné lieu à la commercialisation de nouveaux produits multi-supports mais s’est traduite par l’introduction de nouveaux supports dans les produits existants. Jusqu’à présent, ils n’ont donc pas mis sur le marché de produits multi-supports d’épargne spécialement destinés à satisfaire les besoins d’une clientèle aux préférences extra-financières marquées et spécialement conçus pour proposer exclusivement une
gamme de supports d’investissement à l’attention de cette clientèle.
S’agissant des options de gestion (allocation standardisées et gestion déléguée), les répondants n’ont pas tous suivi une approche similaire. Certains ont augmenté le poids des supports d’investissement à caractère durable de façon uniforme dans toutes leurs options de gestion existantes, tandis que d’autres ont plutôt pris le parti de créer des options de gestion spécifiques marquées par un fort caractère extra-financier.
Caractère durable des fonds euros :
Compte tenu du rôle prépondérant des fonds euros, se pose la question du degré de durabilité qu’il est possible de conférer à ces produits.
En l’état actuel de l’offre réduite d’investissements durables et notamment d’investissements qui seront conformes à la taxonomie européenne, et en l’absence de standards permettant d’accréditer le caractère durable des émissions souveraines, la plupart des répondants jugent irréaliste au plan technique le développement d’un fonds euros poursuivant un objectif d’investissement durable. En effet, du fait de la garantie qu’il procure, un fonds euros requiert une très forte diversification de ses placements sous-jacents. De plus, le contexte de taux bas ne serait pas propice au développement d’un nouveau fonds fondé sur une politique de placements spécifique car les souscripteurs ne bénéficieraient plus des rendements des placements plus anciens de l’actif.
Pour autant, il est notable que la majorité des organismes répondants déclarent intégrer les facteurs ESG dans leur décision d’investissement. Leurs pratiques en la matière témoignent d’un degré d’ambition variable et les critères ESG de sélection des placements apparaissent plus ou moins contraignants. Toutefois, certains assureurs semblent d’ores et déjà s’imposer des règles de gestion assez exigeantes et proches des critères de labellisation du label ISR. Cette situation démontre la possibilité technique de développer des fonds euros à la stratégie d’investissement significativement engageante ou tout au moins promouvant à juste titre une caractéristique de durabilité. Il est à noter néanmoins que la profession de l’assurance ne dispose actuellement d’aucun outil de labellisation de ses supports d’investissement en euros.
Politiques de commercialisation :
Par comparaison avec les autres supports en unités de compte, les encours relatifs aux supports à caractère extra-financier semblent moins fréquemment issus de la vente à distance et plus fréquemment reliés à l’activité des réseaux de courtiers.
Il est notable qu’aucun répondant n’a intégré la question des caractéristiques extra-financières dans les processus de gouvernance des produits et notamment dans l’élaboration du marché cible du produit. De plus, très peu déclarent avoir fait évoluer les processus de recueil de l’information client afin de recueillir leurs préférences en matière extra-financière.
Cela dénote un écart entre les pratiques actuelles du marché français et les évolutions réglementaires à venir des règlements délégués de la directive distribution d’assurances visant à introduire dans les règles de distribution le sujet des préférences des clients en matière de durabilité.
Communication vis-à-vis des clients et prospects :
Dans le cadre de l’enquête, les organismes ont été invités à transmettre leurs deux dernières campagnes publicitaires portant sur des contrats d’assurance-vie ou PER et comportant un argument faisant référence à des aspects extra-financiers. La majorité des communications transmises portaient sur des contrats d’assurance-vie de type épargne (85 % de l’échantillon).
Tous supports confondus, l’argument relatif à la finance durable était, dans la majorité des cas, mis en avant de façon à constituer le thème central des communications (60 % des cas) et souvent traité de façon assez générale sous l’angle de la présentation de la stratégie des organismes en la matière (70%).
Près de la moitié des communications portant sur des contrats d’assurance vie de type épargne a été diffusée sous forme de Newsletters client et de plaquettes décrivant le produit ou l’offre de finance durable), destinées à des clients ou des prospects intéressés par cette thématique, plutôt qu’au grand public. Un réel effort de sensibilisation et de pédagogie a d’ailleurs été identifié sur ces supports, qui en l’absence de contraintes d’espace, permettent d’expliciter les enjeux de la finance durable et de présenter la stratégie des organismes.
A contrario, un risque de « greenwashing » plus important a été identifié sur les supports comportant des limites de temps ou d’espace (spots TV, radio, presse, bannière internet, etc.). Sur ces supports, construits pour être plus percutants, l’utilisation de formulations générales ou synthétiques peut être de nature à induire en erreur le grand public. Les professionnels doivent donc veiller à ce que le consommateur puisse appréhender la composition réelle des produits et leur degré de « durabilité » mais aussi que les arguments publicitaires soient formulés de façon proportionnée. Une attention particulière doit notamment être portée à l’utilisation de vocabulaire exagérément positif autour de la labellisation et de ses enjeux.
Ces points de vigilance sont d’autant plus importants que, dans le cadre de son activité de veille publicitaire, l’ ACPR a pu constater depuis 2019 une évolution importante tant du volume de communications mettant en avant un argument de durabilité (8% des publicités analysées en 2019 contre 20% au 1er trimestre 2021) que de la place de l’argument dans la communication (36% des communications avaient pour thème central la durabilité en 2020, contre 53% au 1er trimestre 2021).
p/o Virginie Gastine Menou
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