Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT), la DGCCRF contrôle les obligations de vigilance et de déclaration des professionnels acceptant des paiements en espèces ou au moyen de monnaie électronique d’un montant supérieur à 10 000 euros. Après avoir sensibilisé au respect de ces obligations les fédérations professionnelles et les principaux grands magasins du secteur de l’horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie et de l’orfèvrerie du luxe, les agents du service national des enquêtes (SNE) de la DGCCRF ont mené des investigations auprès des horlogers, bijoutiers, joailliers et orfèvres, ciblés en prenant en compte une analyse sectorielle des risques, élaborée au préalable. Les enquêteurs ont contrôlé :
L’enquête a été réalisée selon deux axes de travail : d’une part, un questionnaire permettant d’apprécier les connaissances des professionnels sur le sujet des obligations en matière de LBC/FT et des procédures internes de vigilance à mettre en place ; d’autre part, un contrôle des transactions de plus de 10 000 € à partir de la liste des ventes réalisées par espèces ou en monnaie électronique. Vingt-cinq opérateurs du secteur du luxe ont ainsi été contrôlés, dans six régions, principalement à Paris[2]. Les investigations ont révélé que la plupart des professionnels contrôlés - grands magasins, opérateurs de vente à distance, commerces de détail, créateurs – méconnaissait leurs obligations en matière de LCB/FT.
Les consommateurs de produits de luxe des secteurs de l’horlogerie, la bijouterie, la joaillerie et de l’orfèvrerie sont en grande partie étrangers. Cette clientèle étrangère est dans certains cas incitée à fréquenter les rayons de luxe des grands magasins grâce à des accords rémunérés conclus avec les tour-operators. Les règlements par carte bancaire y sont majoritaires. Compte tenu de ce mode de paiement, les achats concernés ne sont pas assujettis aux obligations de LBC/FT relevant du périmètre de la DGCCRF, dans la mesure où la carte bancaire identifie le donneur d’ordre et permet de conserver une traçabilité du paiement et de son origine. L’enquête a montré que quatre enseignes avaient fait le choix de ne plus accepter de paiements en espèces ni en monnaie électronique supérieurs à 10 000 €. Les enquêteurs ont constaté que les achats réalisés par internet, incluant le retrait en magasin, ne sont dans le cas général pas réglés en espèces ni en monnaie électronique, mais par carte bancaire ou par virement bancaire, et ne sont donc pas assujettis aux obligations contrôlées. Bien que les investigations aient démontré que les professionnels contrôlés ne connaissaient pas leurs obligations en matière de LBC/FT, certains opérateurs respectaient en partie les règles de limitation des paiements en espèces.
De même, à l’exception d’un seul opérateur, les professionnels du secteur ne savaient pas qu’ils étaient tenus de mettre en place un système d’évaluation des risques spécifique à leur entreprise. Or, le dispositif de LBC/FT repose sur cette évaluation : elle permet, lorsque les risques évalués sont importants, de décider des mesures de vigilance à mettre en place, et d’effectuer une déclaration de soupçon (cf. art. L. 561-4-1 et suivants du code monétaire et financier). Toutefois, quelques dispositions contribuant à l’évaluation des risques ont été prises par certains opérateurs. Par exemple, les maisons de haute joaillerie et trois grands magasins contrôlés avaient mis en place des protocoles de gestion des encaissements comprenant les règlements en espèces et en monnaie électronique. Autre exemple : certains revendeurs et fabricants locaux informaient par message électronique l’ensemble de leur personnel sur les limites et les seuils règlementaires des paiements en espèces. Ces mesures étant insuffisantes, les enquêteurs ont rappelé aux professionnels concernés l’ensemble de leurs obligations.
Si les fabricants et les revendeurs contrôlés basés en province hésitaient à solliciter et à conserver des copies de pièces d’identité de leurs clients, les maisons de haute joaillerie, les grands magasins et les revendeurs parisiens vérifiaient et conservaient une copie des pièces d’identité des clients, et ce, de façon systématique pour les acquéreurs étrangers, notamment afin de respecter leurs obligations en matière de formalités douanières relatives à la TVA. En revanche, aucune mesure n’était établie pour l’identification des bénéficiaires effectifs. Il ressort de l’enquête que, dans les secteurs de l’horlogerie, la bijouterie, la joaillerie et l’orfèvrerie de luxe, la notion de bénéficiaires effectifs concerne essentiellement les achats réalisés pour le compte d’autres personnes physiques. Par exception, les transactions peuvent aussi s’effectuer avec des personnes morales. Les enquêteurs ont rappelé aux professionnels la possibilité dont ils disposent de consulter le registre des bénéficiaires effectifs. Enfin, l’obligation de contrôler la provenance des fonds utilisés pour les achats de produits de luxe était totalement ignorée par les professionnels du secteur qui faisaient valoir une impossibilité de demander ce type de renseignement à leurs clients. Cependant, certains interrogeaient leurs clients sur leurs activités professionnelles ou effectuaient des recherches sur internet en ce sens.
Les enquêteurs ont également constaté lors de leurs contrôles que les opérateurs méconnaissaient leurs obligations relatives à la mise en place de mesures de vigilance complémentaires, telles que l’identification des personnes politiquement exposées (personnes considérées, au niveau international, comme exposées à des risques plus élevés de blanchiment de capitaux, cf. art. L. 561-10 du code monétaire et financier) et des personnes établies dans un pays non coopératif (personnes physiques ou morales sises dans un État ou un territoire dont la législation ou les pratiques font obstacle à la LBC/FT). Les professionnels concernés se contentaient de noter la résidence de ces personnes, sans effectuer de vérification, avant d’accepter des paiements en espèces supérieurs à 10 000 €.
Si la formation des personnels est essentielle au développement des mesures de vigilance en matière de LBC/FT (cf. art. R. 561-38-1 du code monétaire et financier), l’enquête a révélé que seuls trois établissements sur les vingt-cinq contrôlés (soit 12 %) organisaient une formation dédiée destinée à leur personnel. D’autres entreprises se contentaient d’adresser à leurs salariés une documentation relative aux limites de paiements en espèces. Les fédérations professionnelles ont donc un rôle significatif à jouer pour inciter les opérateurs du secteur à investir dans la formation de leurs personnels au sujet des obligations en matière de LBC/FT.
Les professionnels contrôlés, ignorant l’existence de Tracfin, n’effectuaient pas de déclaration de soupçon auprès de celui-ci, alors même qu’il s’agit d’une obligation réglementaire (cf. art. R. 561-23 du code monétaire et financier). Plusieurs transactions susceptibles de présenter un caractère délictuel en raison de l’absence de connaissance sur l’origine des fonds de l’achat ou au regard de leur justification économique, ont ainsi été effectuées sans déclaration de soupçon à Tracfin. Les agents de la DGCCRF se sont donc soit substitués aux opérateurs défaillants, soit ont enjoint aux entreprises concernées de procéder à cette déclaration.
Lors de l’enquête, sept contrôles n’ont pas donné lieu à des suites : une entreprise respectait ses obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, un opérateur a très vite mis en place la procédure d’évaluation des risques manquante, cinq autres professionnels ont choisi de ne plus accepter les règlements en espèces au-delà de 10 000 euros. Les enquêteurs ont adressé par ailleurs quinze injonctions (à 60 % des établissements contrôlés). Les manquements relevés ont essentiellement concerné l’absence de système d’évaluation et de formation des personnels, ainsi que l’absence de mise en place de mesures complémentaires de vigilance lorsque des transactions d’un montant de plus de 10 000 € réglées en espèces avaient été réalisées par des personnes politiquement exposées. Par ailleurs, le Service national des enquêtes a transmis plusieurs déclarations d’information de soupçon à Tracfin concernant des transactions financières douteuses n’ayant pas été signalées par les opérateurs concernés, qui ignoraient l’existence du dispositif.
Globalement, les contrôles ont permis de sensibiliser les horlogers, bijoutiers, joailliers et orfèvres à leurs obligations en matière de LBC/FT. En effet, l’information des opérateurs du secteur est nécessaire à leur participation active au dispositif de lutte mis en place. À cet égard, les organisations professionnelles ont également un rôle à jouer afin, par exemple, d’impulser le développement de la formation des personnels, et d’expliciter, sur leurs sites internet et dans leur communication aux professionnels adhérents, les notions liées à ce sujet. Responsabiliser davantage les professionnels du secteur du luxe leur donnera la possibilité de prendre les mesures utiles au développement de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. La DGCCRF poursuivra ses actions de contrôle en la matière.
[1] Il s'agit de toute personne physique qui contrôle directement ou indirectement une société (en possédant plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société ou entité, ou en exerçant sur cette dernière, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle au sens des 3° et 4° du I de l'article L. 233-3 du code de commerce : détermination en fait, par les droits de vote dont elle dispose, des décisions dans les assemblées générales ; ou pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance (selon les art. R. 561-1 et R. 561-2 du code monétaire et financier)). [2] L’Île-de-France concentre en effet le plus grand nombre d’opérateurs de luxe (52 %) dans le domaine de l’horlogerie, la bijouterie, la joaillerie et l’orfèvrerie.
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