Proposition de directive anticorruption : peu de changements en pratique

Christophe BARDY - GRACES community
31/7/2023
Propulsé par Virginie
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Responsabiliser les personnes morales, renforcer les sanctions, encadrer le rôle des autorités de contrôle… Voici quelques mesures phares du projet de directive européenne anticorruption. Plusieurs professionnels du droit nous ont donné leur avis sur le texte.


Le 3 mai dernier, la Commission européenne a dévoilé son projet de directive relative à la lutte contre la corruption. L’objectif premier du texte : harmoniser les disparités existantes entre les législations des Etats membres en dotant les moins « sévères » de standards minimums. Qu’en pensent les principaux concernés ?


Rééquilibrer les responsabilités


« Les entreprises ont besoin de prévisibilité, de sécurité et de lisibilité dans le cadre communautaire », déclare Xavier Hubert, directeur Ethics, compliance and privacy chez Engie. Par exemple, « certains droits nationaux ne permettent pas encore la responsabilité des personnes morales mais uniquement celle des personnes physiques. Or, c’est en décalage avec le droit français », précise-t-il.

L’apport fondamental du texte est, selon lui, le rééquilibrage des responsabilités en visant la responsabilité des personnes morales. L’article 16 prévoit en effet de tenir les personnes morales responsables si une infraction a été commise en raison d’un manque de surveillance ou de contrôle.

Pour Margot Sève, avocate au sein du cabinet Skadden, c’est l’un des enjeux les plus importants dans la pratique des juristes. « Avec la loi Sapin II, les entreprises d’une certaine taille sont déjà bien préparées. Mais si le seuil d’application de la directive devait être plus faible que le seuil français actuel, de nombreuses entreprises devront se mettre en conformité », alerte-t-elle.


Inclure la sphère privée


La proposition de directive vise expressément le secteur privé. Selon l’article 8, les entreprises privées pourraient ainsi être sanctionnées pénalement pour des faits de corruption. Ces dispositions sont approuvées par William Feugère, avocat associé du cabinet Feugère Moizan Avocats : « il est intéressant de mettre l’accent sur la corruption privée car aujourd’hui, ce n’est pas clairement fait par les textes français anticorruption comme la loi Sapin II. Or, c’est cette corruption qui est la plus fréquente et lèse les intérêts des entreprises. »

Même constat pour Edouard Shailend Leeleea, compliance officer chez MBDA, qui estime également nécessaire de mettre en place des actions de prévention en interne et, d'autant plus dans une multinationale, où la coopération devrait être « renforcée pour faciliter les échanges d’informations. »


Un régime de sanction similaire à celui du RGPD


Autre apport du projet de directive : le renforcement des sanctions. A ce titre, l’article 17 du texte prévoit que le montant de l’amende pénale pourrait être porté jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires mondial des personnes morales.

Comme l’explique Margot Sève, « de telles mesures rappellent l’approche adoptée par le RGPD. En droit français, en dehors du régime de la CJIP, les amendes sont actuellement fixées infraction par infraction et ne sont pas calculées sur le chiffre d’affaires des entreprises. Suivant la taille de l’entreprise, les conséquences ne sont donc pas les mêmes. Par exemple, une amende de 5 millions d’euros mettra plus en difficulté les petites structures que les grandes, même si les juges prennent en compte la situation patrimoniale de la personne morale pour déterminer le montant de l’amende prononcée. Le régime proposé par le projet de directive augmentera ainsi le plafond des sanctions, notamment pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires important. »

A noter également que le texte introduit, dans son article 18, les facteurs majorants et minorants dans le calcul de l’amende, « ce qui est à ce jour du droit mou en France », précise Margot Sève. « L’autodénonciation des entreprises deviendrait ainsi du droit positif ».


« L’AFA devra devenir une autorité administrative indépendante »


L’article 4 aborde la nécessité pour les Etats d’avoir un ou plusieurs organes fonctionnellement indépendants spécialisés dans la prévention de la corruption comme ce qui existe déjà en France avec l’Agence française anticorruption (AFA).

Pour William Feugère, ces nouvelles dispositions impliquent que « l’AFA devra devenir une autorité administrative indépendante. Aujourd’hui, elle est indépendante au niveau de son directeur mais elle reste un service interministériel qui n’est pas indépendant du gouvernement. C’est une vraie avancée. »

Pour certains toutefois, la proposition de directive ne va pas aussi loin que la loi Sapin II. « Le texte ne contient pas de prescriptions en matière de programme de conformité comme la loi Sapin II. C’est un décalage d’avoir cette autorité qui ne serait pas une autorité de poursuite mais une autorité de contrôle sans régime sous-jacent », observe Margot Sève.


Se préparer à une stratégie de contentieux 

Il faudrait profiter du projet de directive pour « rentrer dans l’esprit de la loi Sapin II et basculer sur les contrôles financiers », souligne Edouard Shailend Leeleea. Selon lui, les législations « anticorruption » doivent être « plus sophistiquées et connectées à la fraude et aux blanchiments. »

Le texte n’en est toutefois qu’à ses débuts, le processus législatif pouvant s’étendre jusqu’à 18 mois, augmenté du délai de transposition.

En attendant, « les juristes doivent plus que jamais s’emparer des sujets compliance », alerte William Feugère. « Ils ont une place proéminente sur ce sujet. Il faut utiliser cette directive comme un moyen de convaincre les dirigeants que la compliance est un outil de prévention mais aussi de précontentieux et d’anticiper, avec une stratégie de prédéfense adaptée, sa stratégie de contentieux », conclut l’avocat.




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