La proposition de loi renforce la protection des lanceurs d'alerte, consacrée par la loi dite "Sapin 2" de 2016. Elle transpose une directive européenne du 23 octobre 2019 et va même plus loin. Plusieurs affaires ont démontré le combat difficile des lanceurs d'alerte : Médiator, Facebook, Luxembourg Leaks ou Swiss Leaks en matière fiscale...
Le 18 février 2022, le Conseil constitutionnel a été saisi par le Premier ministre de la propositions de loi. Le texte avait été déposé par le député Sylvain Waserman et plusieurs de ses collègues le 21 juillet 2021. Il avait été adopté en première lecture, avec modifications, par l'Assemblée nationale le 17 novembre 2021, puis par le Sénat le 20 janvier 2022. Le 8 février 2022, l'Assemblée nationale avait adopté la version finale de la proposition de loi, tel qu'élaborée par les députés et les sénateurs, réunis en commission mixte paritaire, le 1er février. Le Sénat l'avait définitivement adoptée le 16 février 2022. Le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte le 25 octobre 2021. La proposition de loi, enrichie par les parlementaires, modifie le dispositif général de protection des lanceurs d'alerte instauré par la loi dite "Sapin 2" du 9 décembre 2016. Elle vise à corriger certaines de ses limites mises en évidence par un récent rapport sur l'évaluation de l'impact de la loi. La proposition de loi transpose la directive du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, allant même au-delà des dispositions européennes. Selon l'auteur de la proposition de loi Sylvain Waserman, ce texte, enrichi par les parlementaires au cours de son examen, "constitue la meilleure protection des lanceurs d’alerte en Europe".
Le texte précise la définition du lanceur d’alerte, le champ des informations considérées comme une alerte et complète la liste des secrets applicables. Sera reconnue comme lanceur d'alerte la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Jusqu'ici le lanceur d'alerte doit agir "de manière désintéressée". Cette notion ambiguë est remplacée par une absence de contrepartie financière. Il s'agit d'assouplir la recevabilité de l’alerte notamment dans les cas où le lanceur d’alerte est en conflit avec son employeur, sans pour autant permettre sa rémunération (comme c'est la pratique aux États-Unis). Selon la loi "Sapin 2", le lanceur d'alerte doit aussi avoir "personnellement" connaissance des faits qu'il signale. Cette condition est supprimée dans le contexte professionnel. Dans ce cadre, un lanceur d’alerte pourra ainsi signaler des faits qui lui ont été rapportés. Les faits dénoncés pourront porter sur "des informations" sur un crime, un délit ou des violations du droit mais aussi sur des "tentatives de dissimulation" de ces violations. La violation de la règle n'aura plus à être "grave et manifeste". Les parlementaires ont étendu les garanties offertes par la loi Sapin 2 aux lanceurs d’alerte qui relèveraient d'un dispositif spécifique de signalement. Le lanceur d'alerte bénéficiera des mesures les plus favorables de chaque dispositif. Ces garanties ne s'appliqueront toutefois pas au dispositif spécifique de signalement en matière de renseignements.
La loi "Sapin 2" ne prévoit rien sur l'entourage du lanceur d'alerte. Le texte, suivant la directive du 23 octobre 2019, étend certaines protections offertes aux lanceurs d’alerte, notamment la protection contre les représailles, aux personnes physiques et aux personnes morales à but non lucratif (syndicats et associations) qui sont en lien avec le lanceur d’alerte : facilitateurs qui aident à effectuer le signalement ou la divulgation, collègues, proches... Avec ce nouveau statut pour les "facilitateurs", le lanceur d'alerte ne sera plus isolé.
C'est une des innovations principales de la directive de 2019. Les canaux dont dispose le lanceur d'alerte pour signaler des faits, s'il veut bénéficier d'une protection, sont simplifiés. La loi "Sapin 2" hiérarchise les canaux d'alerte en trois temps :
Cette hiérarchisation pose des difficultés : en cas de signalement interne, les risques de pressions et de représailles sont accrus. Par ailleurs, la procédure de signalement externe est complexe et peu connue. La proposition de loi prévoit que le lanceur d'alerte pourra choisir entre le signalement interne et le signalement externe à l'autorité compétente, au Défenseur des droits, à la justice ou à un organe européen. La divulgation publique ne sera toujours possible que dans certaines situations. Après accord trouvé entre les parlementaires, l'alerte publique pourra intervenir en cas :
Dans les cas de signalement ou de divulgation publique anonyme, un amendement des sénateurs permet aux personnes ayant vu leur identité révélée, comme les journalistes, d'obtenir le statut de lanceur d'alerte. Cet amendement renforce, conformément à la directive de 2019, la protection des sources. Un décret précisera la liste des autorités compétentes pour recueillir et traiter les alertes externes, parmi les autorités administratives ou indépendantes, les ordres professionnels... Ce décret fixera les conditions et délais dans lesquels elles devront accuser réception des signalements (sept jours maximum) et fournir un retour d'information aux lanceurs d’alerte (trois mois ou six mois si cela est justifié). Dans ce nouveau dispositif, le Défenseur des droits aura la charge d’orienter les lanceurs d’alerte et de réorienter les alertes lorsqu’une autorité externe ne s’estimera pas compétente. Tout au long de son parcours, le lanceur d'alerte pourra bénéficier de l’appui d'un nouvel adjoint au Défenseur des droits, dont les missions sont précisées par une proposition de loi organique.
Pour faciliter les alertes, la proposition de loi renforce les garanties de confidentialité qui entourent un signalement et complète la liste des représailles interdites (intimidation, atteinte à la réputation notamment sur les réseaux sociaux, orientation abusive vers des soins, inscription sur une liste noire…). L'irresponsabilité des lanceurs d'alerte du fait de leur signalement est étendue. Le lanceur d'alerte ne pourra être inquiété ni civilement pour les préjudices que son signalement de bonne foi aura causés, ni pénalement pour avoir intercepté et emmené des documents confidentiels liés à son alerte, contenant des informations dont il aura eu accès de façon licite. Par exemple, un salarié à qui on montre un rapport prouvant qu’une usine déverse du mercure dans une rivière, aurait le droit de le subtiliser pour prouver les faits dont il a eu licitement connaissance. Le texte entend également limiter le coût financier, parfois considérable, des procédures que doivent engager les lanceurs d'alerte. En début de procès, le juge pourra accorder une provision pour frais de justice au lanceur d'alerte qui conteste une mesure de représailles ou une procédure "bâillon" à son encontre (comme une plainte pour diffamation destinée à intimider et réduire au silence le lanceur d'alerte). Les députés ont prévu que le juge puisse allouer une provision supplémentaire au lanceur d'alerte dont la situation financière s'est gravement dégradée. Les députés ont en outre permis au juge de rendre ces provisions définitives à tout moment, c'est-à-dire même si le lanceur d'alerte perd son procès. L'amende civile encourue en cas de procédure "bâillon" contre un lanceur d'alerte est portée 60 000 euros. Enfin, les lanceurs d'alerte pourront bénéficier de mesures de soutien psychologique et financier par les autorités externes, qu'elles aient été saisies directement ou via le Défenseur des droits. Les sénateurs sont revenus sur la création d’un référé liberté "droit d’alerte" au profit des agents publics. Ils ont aligné la protection des militaires lanceurs d’alerte sur celle des fonctionnaires civils.
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