« Face au mur – Enquête sur les propriétaires réels des sociétés et des biens immobiliers en France »

Christophe BARDY - GRACES community
25/7/2023
Propulsé par Virginie
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Une analyse inédite révèle l’extrême vulnérabilité de l’immobilier français face au risque de blanchiment d’argent, malgré la mise en place de mesures de transparence.


Paris / Berlin, 5 juillet 2023


L’absence de respect de la réglementation, le caractère incomplet des données, les failles dans les contrôles et les difficultés à croiser les bases de données créent un mur d’opacité qui empêche le suivi des flux d’argent sale dans l’immobilier français. C’est ce que révèle un nouveau rapport de Transparency International France, Transparency International et Anti-Corruption Data Collective (ACDC). Six ans après la mise en place pour les sociétés enregistrées en France d’une obligation de déclaration de leurs bénéficiaires effectifs, près d’un tiers d’entre elles n’ont toujours pas déclaré leurs bénéficiaires effectifs. Ces sociétés sont souvent propriétaires de parcelles immobilières. Plus de 7,33 millions de parcelles – qui peuvent contenir une ou plusieurs propriétés – sont ainsi détenues anonymement en France. Les efforts déployés pour traquer les avoirs immobiliers des criminels en col blanc, des kleptocrates et des élites sous sanctions internationales se heurtent à un mur d’opacité.


Le rapport Face à un mur d’opacité : Enquête sur les propriétaires réels des sociétés et des biens immobiliers en France, est basé sur une analyse approfondie des données publiques disponibles sur les sociétés et les biens immobiliers immatriculés en France. Les auteurs ont récupéré environ cinq millions de pages web individuelles contenant des informations sur les sociétés dans le registre français de la propriété effective des sociétés et ont croisé les résultats avec les données cadastrales françaises.


Les résultats sont alarmants : plus de 1,53 million de sociétés enregistrées en France – soit un peu moins du tiers – n’ont pas déclaré leurs bénéficiaires effectifs, bien qu’elles soient tenues de le faire depuis 2017. Près de 10,35 millions de parcelles partout en France sont détenues par des sociétés privées. Pour 7,33 millions d’entre elles, soit 71 % du total, les véritables propriétaires restent inconnus. La grande majorité de ces sociétés n’ont pas fourni de données sur leurs propriétaires réels ou sont inconnues du registre français des bénéficiaires effectifs. Nombre d’entre elles sont des sociétés étrangères qui peuvent posséder des biens immobiliers en France sans passer par une société française et qui ainsi échappent aux obligations de transparence.


Malgré le nombre élevé de sociétés qui ne respectent pas l’obligation de renseigner leurs bénéficiaires effectifs, une seule sanction pénale a été imposée entre 2016 et 2020, chiffre confirmé par les autorités françaises aux auteurs du rapport. Les autorités françaises ont présenté des chiffres de conformité légèrement différents, mais les chercheurs n’ont pas été en mesure de vérifier de manière indépendante les chiffres du gouvernement.

Pour Sara Brimbeuf, responsable du programme sur les flux financiers illicites à Transparency International France : « Quinze ans après le début des premières affaires de biens mal acquis en France, et alors que la traque des biens immobiliers des oligarques et proches du régime russe est censée être une priorité, il est inacceptable que les deux tiers des biens immobiliers appartenant à des sociétés soient détenus de manière anonyme. Nous appelons les autorités à combler rapidement ces lacunes, à améliorer la collecte et la fiabilisation des données, et à sanctionner les sociétés, françaises ou étrangères, qui persistent à refuser de déclarer leurs propriétaires réels ».


Si l’accès libre et gratuit au registre des bénéficiaires effectifs (RBE) français, maintenu malgré la décision de la Cour de Justice de l’UE de novembre 2022, doit être applaudi, le rapport Face à un mur d’opacité a néanmoins mis en évidence des problèmes de qualité et d’exhaustivité des données.


Et Maíra Martini, chercheuse et experte des flux financiers illicites à Transparency International, d’ajouter : « Nous savons depuis longtemps que l’immobilier de luxe français est un refuge très prisé par les criminels et les corrompus qui cherchent à blanchir leur argent sale. Les mesures de transparence prises ces dernières années auraient dû changer la donne, mais il reste encore beaucoup à faire pour que ces outils soient à la hauteur. Les autorités devraient intensifier leur lutte contre le blanchiment d’argent dans le secteur immobilier et adapter les exigences en matière de collecte de données et de déclaration aux risques encourus ».


Des enquêtes parallèles menées par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) ont révélé l’existence de plus d’une douzaine de propriétés en France liées à des personnalités originaires d’Amérique Latine (des blanchisseurs d’argent présumés, et des hommes politiques accusés de corruption ainsi que des membres de leur famille).


Les auteurs du rapport Face à un mur d’’opacité ont également pu identifier 166 ressortissants russes figurant dans le registre français des bénéficiaires effectifs, dont des hommes politiques, des hommes d’affaires, de hauts fonctionnaires et des propagandistes russes, ainsi que leurs proches. Près de la moitié de leurs sociétés sont des sociétés civiles immobilières (SCI). Les sociétés appartenant à des russes sont deux fois plus susceptibles d’être enregistrées à une « adresse boîte aux lettres », ce qui devrait faire retentir, pour les autorités comme pour tous les acteurs de la filière immobilière (notaires, agents immobiliers, courtiers, promoteurs immobiliers, établissements de crédit), un signal d’alarme lors de la création d’une société. Ces sociétés possèdent des parcelles sur lesquelles sont construites des propriétés luxueuses de tous types, depuis des villas à Saint-Tropez jusqu’à des chalets alpins, en passant par de somptueux appartements situés dans les arrondissements les plus prestigieux de Paris et tout l’arc atlantique.


Pour David Szakonyi, cofondateur d’Anti-Corruption Data Collective (ACDC) : « Le fait que des journalistes et des chercheurs aient pu identifier ces personnes et leurs propriétés en France montre l’importance de rendre ces informations librement accessibles. Notre analyse suggère que les cas identifiés ne sont que la partie émergée d’un iceberg de corruption et de biens mal acquis. Avec autant de sociétés qui ne déclarent pas qui les contrôle et qui tire bénéfice de leurs activités, les enquêteurs continueront à se heurter à un mur jusqu’à ce que le taux de conformité augmente et que les problèmes d’exhaustivité et d’exactitude des données dans le registre soient résolus ».

Transparency International France, Transparency International et l’ACDC recommandent aux autorités françaises d’agir rapidement pour augmenter le coût de la non-conformité et d’améliorer leurs propres mécanismes de collecte et de vérification des données. Les autorités devraient également se pencher sur les risques de blanchiment d’argent associés à certains types de sociétés, au secteur immobilier et aux sociétés étrangères. Elles devraient enfin appeler tous leurs partenaires européens à se doter de registres équivalents et à en fiabiliser les données grâce à des échanges d’information.



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