A lire ou relire dans l’ouvrage « Risk management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques. »,
Chapitre 1 / Histoire récente des risques, de la gestion des risques, de la FRM / De 2019 à aujourd’hui / 4 exemples / Du risque incendie au risque éthique : l’incendie de l’usine Lubrizol. P.79
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Article de Caroline Aubry consacré à l’incendie de l’usine Lubrizol.
Des analyses d'eaux souterraines réalisées après l'incendie de Lubrizol à Rouen, révèlent une contamination de la nappe phréatique par plusieurs polluants. Précisions.
Quatre ans après le gigantesque incendie de Lubrizol et Normandie Logistique du 26 septembre 2019 à Rouen (Seine-Maritime), des résidus de la catastrophe industrielle continuent d’imprégner les eaux souterraines à l’endroit de la zone sinistrée. C’est ce qui ressort de différents rapports d’analyses transmis par la préfecture à l’Union des victimes de Lubrizol (UVL) et dont 76actu a obtenu copie.
« La pollution des eaux souterraines est avérée », confirme à la lecture de ces résultats l’hydrogéologue Matthieu Fournier, enseignant-chercheur à l’université de Rouen et co-coordinateur du projet Cop Herl, chargé d’étudier les conséquences de l’incendie sur l’environnement et l’Homme.
Les mesures en question proviennent de document fournis par Lubrizol aux autorités, en vertu de l’arrêté préfectoral du 22 novembre 2021 qui impose un suivi des eaux souterraines concernant deux zones :
Nous avons notamment pu consulter les résultats de trois campagnes de prélèvement réalisées en octobre 2020, décembre 2022 et avril 2023, sur cinq piézomètres (forages) situés aux abords du secteur incendié (carte en cliquant sur le lien ci-dessous).
Deux catégories de polluants retiennent particulièrement l’attention : les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), reconnus pour certains comme potentiellement cancérogènes, et les PFAS (abréviation anglaise de « composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés »), également appelés « polluants éternels », aux effets encore mal connus sur les organismes vivants.
Selon Matthieu Fournier, le lien entre la présence de ces substances dans la nappe phréatique et l’incendie de Lubrizol ne fait presque aucun doute. « La combustion des huiles moteur produites chez Lubrizol génère des HAP », note-t-il. Quant aux PFAS, « on les retrouve dans les mousses d’extinction utilisées par les pompiers ».
Mais c’est surtout la « dynamique » des teneurs relevées qui laisse peu de place au doute, avec « un phénomène intense – l’incendie de Lubrizol – suivi de fortes concentrations » en polluants.
La préfecture elle-même le dit dans sa réponse à l’UVL : « Les concentrations relevées sur certains paramètres dépassent des seuils habituellement applicables pour des eaux destinées à la consommation humaine. » Et de loin dans certains cas, comme le montrent les tableaux de ce communiqué que nous a transmis l’Union des victimes de Lubrizol (lien ci-dessous) :
Ainsi, en décembre 2022, la somme des HAP a par exemple atteint 98 microgrammes par litre (µg/l, un microgramme correspond à un millionième de gramme) au piézomètre 32 (Pz32). Alors que la limite pour les eaux brutes destinées à la production d’eau potable est fixée à… 1 µg/l !
Sur ce même Pz32 situé au nord de la zone sinistrée, la somme des PFAS (PFOA + PFOS) culmine encore à plus de 19 µg/l en décembre 2022 et 10 µg/l en avril 2023, pour une norme de qualité (instaurée au niveau européen mais pas encore retranscrite en droit français) ne dépassant pas 0,5 µg/l.
Certes, « l’aquifère concerné n’est pas utilisé pour l’alimentation humaine », tient à rassurer la préfecture. Matthieu Fournier observe également une « tendance globale et classique à la baisse des concentrations dans le temps, du fait de la coupure des sources d’apport, de la dégradation des molécules et de la circulation naturelle des eaux souterraines vers la Seine ».
Il n’empêche, à l’opposé de cette tendance, le scientifique relève « le cas particulier du Pz28 », où « la somme des HAP a été multipliée par 19 en trois ans » – de 0,2 µg/l en octobre 2020 à 3,8 µg/l en avril 2023 – souligne l’UVL dans son communiqué.
Et l’association de rappeler que « cette zone correspond à la zone 5 de remédiation où la Dreal a accepté l’arrêt des excavations de terre polluée sous prétexte que cela n’était pas techniquement et économiquement acceptable ».
Dans son rapport d’inspection du 27 avril 2022, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement écrit en effet qu’« un bloc béton a été rencontré à la profondeur entre 1 et 2 m rendant techniquement impossible la poursuite des opérations d’excavation ».
Arguant de cette « impossibilité technique » et de « la conformité des valeurs mesurées sur la profondeur 1 – 2 m [aux seuils de dépollution] », la Dreal « émet un avis favorable à l’arrêt des opérations d’excavation au nord de la fouille ».
Faut-il établir une relation de causalité entre cette autorisation d’arrêter la dépollution et la forte hausse des teneurs en HAP au Pz28 ? Matthieu Fournier ne l’exclut pas. Mais en l’absence d’indications au moment des prélèvements sur la profondeur et le niveau de la marée dans la Seine toute proche, il s’interroge sur la pertinence de comparer ces mesures effectuées à plusieurs mois d’intervalle.
Plus encore que les HAP, ce sont les PFAS – ces fameux « polluants éternels » – qui préoccupe l’enseignant-chercheur. De fait, en avril 2023, leur teneur totale dépasse encore le seuil de qualité (0,5 µg/l) dans trois des cinq piézomètres autour du site incendié.
« Ces molécules ne se dégradent pas dans l’environnement et on ne sait pas les traiter, souligne Matthieu Fournier. Par conséquent, elles contaminent tous les milieux et s’accumulent dans les tissus des organismes vivants [par exemple les poissons de la Seine, NDLR]. Or, nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur leur dangerosité potentielle. »
Le constat d’une contamination de la nappe phréatique étant établi, se pose la question de l’efficacité des opérations de dépollution imposées à l’industriel. « Est-il toujours acceptable, quatre ans après l’incendie, d’avoir une contamination des eaux souterraines ? », fait mine de s’interroger Christophe Holleville.
Pour le secrétaire de l’UVL, ces analyses constituent un nouvel élément à charge contre Lubrizol, qu’il va transmettre au juge d’instruction chargé de l’enquête sur la catastrophe industrielle. Pour rappel, l’entreprise est déjà mise en examen, depuis septembre 2021, des chefs de « déversement de substances nuisibles dans les eaux » de la Seine et de « rejet en eau douce de substances nuisibles aux poissons ».
« L’industriel a une obligation de résultat en matière de dépollution qui n’est pas respectée », estime Christophe Holleville qui compte bien demander au préfet de mettre en demeure Lubrizol « de dépolluer les eaux ou d’aller plus loin dans la décontamination du site ».
Cette requête a-t-elle une chance d’aboutir ? À entendre Matthieu Fournier, « on ne dépollue jamais complètement un lieu qui reste à vocation industrielle. La question se poserait différemment si on voulait y implanter une crèche. C’est évidemment critiquable sur le plan environnemental, mais en l’absence de risque sanitaire majeur pour les populations, la loi est respectée ».
Également contactée, la préfecture a indiqué qu’elle nous apporterait une réponse dans les prochains jours, réponse que nous publierons dès qu’elle nous parviendra.
Par Valentin Lebossé, 22 novembre 2023.
Caroline Aubry
Maître de Conférences - Sciences de Gestion
Risques. Gestion des Risques. Fonction Risk Manager
Blog : https://gestiondesrisques.net/
Ouvrage récent (édition 2022) : « Risk Management. Organisation et Positionnement de la Fonction Risk Manager. Méthodes de Gestion des Risques. » https://librairie.gereso.com/livre-entreprise/risk-management-fris2.html
Université Paul Sabatier - Toulouse III
Laboratoire de Gestion et des Transitions Organisationnelles (LGTO)
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