Les batailles politiques clés ne sont plus dans les urnes, mais autour de textes déterminants pour l’économie mondiale et le respect des droits humains ou de l’environnement. C’est le cas pour la future législation européenne sur le devoir de vigilance. Une coalition d’ONG, comprenant les Amis de la Terre et deux organisations européennes, l’ EECJ (European Coalition for Corporate Justice) et l’Observatoire européen des entreprises, publie une enquête sur les stratégies déployées par les lobbies d’entreprises pour faire obstacle au projet. Dans "Tirées d’affaires ?", elles sont classées en différentes familles.
La première stratégie est l’obstruction pure et simple : "Bloquer, semer la peur et si rien ne fonctionne, neutraliser". Business Europe, le Medef européen, serait coutumier du fait, accusé par les ONG de tout mettre en œuvre pour affaiblir le texte. La seconde est la stratégie d’étouffement par la "carotte" ou comment "les multinationales constructives tentent d’affaiblir la loi". Les ONG dénoncent des groupes de pression comme l’AIM qui rassemble des géants comme Coca Cola, Danone ou Nike et souhaiterait que le devoir de vigilance n’inclue pas les violations des droits humains. L’Amfori, l’association des entreprises qui veulent faire du "commerce durable", défend bec et ongles de son côté les démarches volontaires contre la responsabilité juridique.
Moins ambitieux que le devoir de vigilance français
La troisième stratégie serait de demander un allègement de la pression sur les entreprises pour les laisser co-construire avec leurs parties prenantes des démarches volontaires de gestion des risques environnementaux et sociaux dans leurs chaînes de sous-traitance. La quatrième stratégie est typiquement française puisqu’elle émane des multinationales qui ont déjà une loi sur le devoir de vigilance. Les ONG ciblent l’AFEP (Association française des entreprises privées) qui est accusée de faire pression pour "saper le projet de législation européenne afin qu’elle soit moins ambitieuse que la loi française".
Ce à quoi Elisabeth Gambert, Directeur RSE et Affaires Internationales à l’AFEP, répond : "Nous sommes favorables au devoir de vigilance européen mais pour éviter toute insécurité juridique, le contenu des exigences doit être précis et clairement défini. Seuls les risques les plus significatifs doivent être appréhendés. Par exemple, le changement climatique en tant que phénomène global ne peut être attribué à un ou plusieurs acteurs particuliers. Enfin, le devoir de vigilance doit être une obligation de moyen pas de résultat".
Une image responsable
En mettant sur la table les arguments développés par les entreprises, les ONG veulent gratter le vernis de durabilité et pousser au maximum l’ambition du texte sur le devoir de vigilance. "Les multinationales et leurs lobbies essaient de se façonner une image responsable et "constructive" pour mieux influencer cette législation. Agitant le chiffon rouge de "poursuites abusives et recours infondés", ils veulent en réalité supprimer toutes les dispositions fortes en matière de responsabilité juridique ou d'accès à la justice des personnes affectées", explique Juliette Renaud, responsable de campagne sur la Régulation des multinationales aux Amis de la Terre France. Elle ajoute : "nous avons perdu des années avec leurs démarches volontaires inefficaces".
Le devoir de vigilance européen bénéficie d’un soutien politique, encore inimaginable il y a quelques années. Il le doit à son rôle de garde-fou contre les dérives de la mondialisation et la nécessité manifeste de mieux maitriser l’ensemble de la chaine de sous-traitance qui concentre les impacts sociaux et environnementaux les plus importants des multinationales. En revanche, les entreprises peuvent légitimement demander si c’est à elles de commencer à redéfinir l’ordre économique mondial. Elles plaident la nécessité pour les États et l’Europe de définir ce qu’est un modèle durable, précisément !
_Anne-Catherine Husson-Traore, @AC\HT, Directrice générale de Novethic
Rapport
p/o Virginie Gastine Menou
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